Mercredi 1er juin. Sentob
Nous sommes finalement arrivés à Sentob, au terme d’une route qui se perdait dans l’uniformité d’un désert sans contours. Et nous sommes arrivés dans le paradis ouzbèque : tout ouzbèque se damnerait pour quelques jours de vacances ici : et c’est pourquoi notre chauffeur est sur un petit nuage. Ou plutôt sur un lit, allongé sous un noyer à respirer l’air pur, écouter le gazouillis des oiseaux et du ruisseau, les doigts de pied en évantail et la tête sur un oreiller! Effectivement, comparé au four qu’est la plaine au pied de la montagne où nous avons trouvé refuge, c’est un havre de paix! Autour du ruisseau qui court en fond de vallée, l’homme a creusé de petits canaux qui conduisent l’eau à droite et à gauche et irriguent une épaisse et rafraîchissante canopée. L’eau partout ruisselle, la terre en est même spongieuse, il est délicieux d'agripper la pelouse avec ses doigts de pieds nus en regardant les crêtes au loin trembler indistinctement dans la chaleur implacable. Toute la vallée, profonde de plusieurs kilomètres, est divisée en petits jardinets séparés par des murets de pierres, où les noyers sont les arbres du repos par excellence, pour l’ombre qu’ils apportent. On trouve aussi des abricotiers dont les fruits ne sont pas seulement bons, c’est tout simplement de la confiture qui tombe du ciel! Il y a des arbres mûriers dont les fruits doivent être consommés sans modération, à la louche, matin et soir : bien sûr leurs fruits sont miraculeusement sucrés, mais ils sont aussi parfaits pour la santé des yeux, des cheveux, du ventre, nous apprend-on. On en produit du sucre sans saccharose (ou sans glucose, j’ai oublié). Les maisons elles aussi sont en pierres assemblées à la boue, avec toits en rondins jointoyés de boue. Des rangées de pierres blanches agrémentent les façades, à moins qu’elles ne soient entièrement enduites. Entre les restanques cheminent de petits ânes chargés de ballots colorés ou de plantes fraîchement coupées, dirigés par tous les membres de la famille sans distinction.
La première idée quand on entre dans cette vallée de fraîcheur et de paix, c’est une analogie avec les villages afghans tels qu’on les voit dans les reportages télé qui rythment la vie médiatique occidentale depuis vingt ans. On s’attend à une embuscade. La deuxième idée, une fois qu’on s’est assis à l’ombre d’un noyer et qu’on observe les couples de pigeons, de tourterelles, de tourterelles roses, c’est ce fameux slogan soviétique : “миру мир” ou “Mirou mir” : paix au monde! C’est simple, bref et beau comme la paix qui nous tombe dessus. Les chiens aussi sont apathiques, les vaches sont propres et ont l’air câlines, les ânes, petits, ont un oeil malicieux, à tout moment on voit leurs têtes sortir d’une encoignure pour vous saluer avec passion, au risque de causer une avalanche. Les bouses sèchent sur les murs, ce sera le combustible de l’hiver à venir, les petites filles nous tendent des fruits savoureux tandis que les hommes nous saluent d’un “salam” bonhomme. Au passage d’un gué on glisse et on plonge les pieds dans l’eau, mais c’est pas grave, dans quelques minutes ils auront séché.
Retour à notre noyer. Nous y vivons des repas pantagruéliques où les salades succèdent aux salades, qui succèdent aux piroshki (beignets à la pomme de terre), qui succèdent aux soupes, arrosés de thés bouillants, toujours au son des pépiements et des roucoulades. Notre seul soucis est de ne pas trop manger. Notre chauffeur, rondouillard, met l’ambiance pour le dîner et raconte ses aventures: ça finit par une démonstration de lutte gréco romaine contre le guide des deux allemands qui partagent le gîte avec nous : les ouzbèques sont très friands de ce sport et gagnent régulièrement les compétitions internationales. Ainsi, voilà quatre ans, Yacha a gagné un match contre un monstre de 100kg et en guise de prix, a obtenu plus de 130kg de viande! Une victoire historique! Qui lui a coûté sa cheville car le hippon sur barbare de plus de 100kg, sa cheville n’a pas supporté! Mais qui dit vallée, dit aussi montagne. Nous consacrons une journée à randonner dans les alentours. L’objectif théorique est de dénicher une pierre sur laquelle sont écrits des messages en perse. Pour ce faire le chef de famille nous fait un petit dessin ponctué de borborygmes car il ne connaît ni l’anglais ni le russe. Il est question de cinq ponts, d’un moulin et des dessins. |
Au premier pont, nous sommes perdus, nous partons dans la montagne, au pays de Heidi et des moutons. Nous ne verrons jamais les quatre suivants, ou bien plus tard. A force de nous élever, nous tombons sur la mère de toutes les ruines qui hérissent notre vallée : une forteresse et sa ville, ruinées et abandonnées, gisant là depuis des milliers d’années, nous expliquera plus tard le guide des allemands. Je ne sais pas à quel point l’explication est romancée ou librement interprétée par moi même de l’explication russe, mais il semblerait qu’une armée d’Alexandre le grand, lors du repli après la chute de Samarcande, se soit retrouvée bloquée, la forteresse de Nurata ayant été prise elle aussi. Elle s’est donc installée ici et a créé son propre état. Cela n’a pas duré très longtemps et bientôt c’est le Khanat de Boukhara qui a pris le relais. La domination politique de Boukhara explique la présence des nombreux graffitis en arabe que l’on trouve à profusion sur les dalles de schiste de la montagne : à l’époque la plupart des enfants étaient envoyés à Boukhara faire des études à la médersa. Ils y apprenaient à lire et écrire l’arabe. Ceci explique d’une part le nombre impressionnant de médersas à Boukhara (le territoire dominé par Boukhara était très grand), et d’autre part les graffitis en arabe. Revenus à la maison, les enfants reprenaient leurs activités habituelles qui sont les mêmes qu’aujourd’hui : garder des moutons dans les alpages. Ce qui laisse du temps pour graver des messages dans les cailloux, et dans toutes les langues de toutes les civilisations qui ont prévalu dans la région.
Une fois passée la forteresse, nous escaladons une crête et nous retrouvons dans une vallée isolée dont le fond nous semble de bonne augure : quoique cela soit lointain, elle semble se diviser en vertes ramifications qui pourraient receler pourquoi pas les piscines naturelles dont nous avons entendu parler. Et puis, ce peut être la voie naturelle des crêtes et donc des caravanes, sur laquelle nous trouverons cette fameuse inscription en arabe, fait d’un prince égaré dans ces vallées, pensons nous alors (nous n’avions pas eu encore l’explication de l’excellence scolaire boukhariote). Nous marchons donc entre les pics acérés, sur un tapis d’herbes ponctués de bosquets d’aubépines, vers d’improbables constructions adossées à la paroi du fond du défilé. Au bout d’un certain temps nous apercevons quatre têtes, celles de notre comité de réception. Depuis le temps que nous sommes partis et que nous n’avons trouvé nul indice des inscriptions en arabe, quelques conseils seraient les bienvenus. Je me dirige donc vers le petit abri en pierres de schiste percé d’une unique fenêtre de la taille d’une main, et salue la famille rassemblée derrière un muret. En me voyant approcher, la mère de famille s’est décalée et s’est ratatinée pour se cacher derrière sa fille de douze ans. La pauvre femmes aux traits burinés par le soleil me lance des sourires timides mais semble vouloir disparaître sous terre. Un jeune garçon de 7-8 ans en revanche s’est détaché du groupe et se tient maintenant devant la porte de l’enclos, l’air farouche, dans la posture de celui qui s’apprête à défendre sa famille. Les deux autres enfants entourent la fillette de douze ans au regard intelligent et qui de fait, devient mon interlocutrice. Une bouteille en plastique traîne par terre, et c’est le seul objet manufacturé si l’on fait abstraction des vêtements de mes vis à vis, qui puisse nous rappeler le siècle actuel. J’ai vite fait de comprendre que personne ici ne parle russe. Je leur lance néanmoins toutes sortes de sourires pour les rassurer de notre présence. J’ai bien l’impression d’être face à une famille de parias, car il n’est pas naturel d’être si craintif, et cela a peut être à voir avec le fait que le petit bonhomme belliqueux a tout du Quasimodo des steppes : une bosse lui casse le dos et ses oreilles immenses lui couvrent presque la mâchoire. Pourtant son visage fermé respire l’intelligence et la volonté. Ils ont dû en connaître avanies ces gens là! Bref, j’essaie quand même de me faire comprendre.
“Le chemin, par là ou par là? Des gens sont déjà passés?
-Oui”
Ah on avance m’exclamai-je par devers moi.
-Et où sont-ils allés? Par là ou par là?
-Par là”
Bon soit, nous irons donc à droite, quoi que ça semble déboucher dans un cul de sac.
Nous continuons donc notre route, sous le regard interdit des autochtones, droit dans la montagne, comme si cela nous semblait absolument naturel…
Rapidement il nous apparaît que le chemin ne nous mène pas vers les fameuses piscines naturelles qui ont mérité qu’on emmène de France nos maillots de bain, mais que nous sommes sur la route du col. Un chemin fréquenté donc. D’ailleurs sur la droite du chemin nous trouvons à nouveau des inscriptions en russe, en persan et en dessins. Mais ce ne sont pas celles que nous cherchons. Nous continuons donc notre ascension, franchissant 500m de dénivelé en moins d’un kilomètre ; nous nous étonnons sur l’étonnante densité de vie qui nous entoure sur ces pentes pourtant d’apparence inhospitalières : insectes dont d’innombrables coccinelles et papillons, oiseaux, herbes folles qui d’ailleurs sont coupées et collectées en tas numérotés par des mains invisibles. Les crottes fraîches de biquettes sont déjà en train de disparaître sous les assauts des fourmis et scarabées; les choucas locaux jettent des cris de pintades! Finalement nous atteignons le col, symbolisé par un Keirn géant, presque une stuppa. Les autres points culminants sont eux aussi chapeautés de stuppas, quand le sommet principal vers lequel convergent toutes les crêtes, est couronné de trois Kerns. Il souffle là haut un vent chaud qui nous amène le bêlement des moutons, et qui, en quelques minutes, nous a séché de nos efforts intenses. Nous restons interdits à regarder à nos pieds la vallée que nous venons de remonter, s’élargissant et verdissant à mesure qu’elle s’épanouit vers la plaine, jusqu’à disparaître dans le jaune de celle-ci. Au delà, quarante kilomètres de vide, et puis le bleu immobile du lac Aidarkul, à peine décelable car le flot se confond avec le ciel. Le lac Aidarkul fait frontière commune avec le Kazakhstan et, au contraire de la mer d’Aral, a plutôt tendance à se développer.
“Le chemin, par là ou par là? Des gens sont déjà passés?
-Oui”
Ah on avance m’exclamai-je par devers moi.
-Et où sont-ils allés? Par là ou par là?
-Par là”
Bon soit, nous irons donc à droite, quoi que ça semble déboucher dans un cul de sac.
Nous continuons donc notre route, sous le regard interdit des autochtones, droit dans la montagne, comme si cela nous semblait absolument naturel…
Rapidement il nous apparaît que le chemin ne nous mène pas vers les fameuses piscines naturelles qui ont mérité qu’on emmène de France nos maillots de bain, mais que nous sommes sur la route du col. Un chemin fréquenté donc. D’ailleurs sur la droite du chemin nous trouvons à nouveau des inscriptions en russe, en persan et en dessins. Mais ce ne sont pas celles que nous cherchons. Nous continuons donc notre ascension, franchissant 500m de dénivelé en moins d’un kilomètre ; nous nous étonnons sur l’étonnante densité de vie qui nous entoure sur ces pentes pourtant d’apparence inhospitalières : insectes dont d’innombrables coccinelles et papillons, oiseaux, herbes folles qui d’ailleurs sont coupées et collectées en tas numérotés par des mains invisibles. Les crottes fraîches de biquettes sont déjà en train de disparaître sous les assauts des fourmis et scarabées; les choucas locaux jettent des cris de pintades! Finalement nous atteignons le col, symbolisé par un Keirn géant, presque une stuppa. Les autres points culminants sont eux aussi chapeautés de stuppas, quand le sommet principal vers lequel convergent toutes les crêtes, est couronné de trois Kerns. Il souffle là haut un vent chaud qui nous amène le bêlement des moutons, et qui, en quelques minutes, nous a séché de nos efforts intenses. Nous restons interdits à regarder à nos pieds la vallée que nous venons de remonter, s’élargissant et verdissant à mesure qu’elle s’épanouit vers la plaine, jusqu’à disparaître dans le jaune de celle-ci. Au delà, quarante kilomètres de vide, et puis le bleu immobile du lac Aidarkul, à peine décelable car le flot se confond avec le ciel. Le lac Aidarkul fait frontière commune avec le Kazakhstan et, au contraire de la mer d’Aral, a plutôt tendance à se développer.
Après avoir déjeuné, nous décidons de descendre par une autre route, pour rejoindre en amont le cour d’eau que nous avions quitté plus tôt. Pour se faire il nous faut contourner deux montagnes. Comme j’ai vu des ruines dans un pli de terrain, j’en conclue qu’il doit y avoir un sentier. Nous commençons la descente, et au rythme auquel nous descendons, il n’est très vite plus question de faire demi tour. En revanche suivre le sentier abandonné depuis plusieurs décennies s’avère être un véritable travail de pisteur que j’accomplis avec succès pendant un temps, mais pendant un temps seulement. Dans ce genre d’activité, il suffit d’une erreur pour se perdre. Il nous faut donc se résoudre à suivre les traces des biquettes! Et Dieu sait que les biquettes, ça n’a pas le vertige et ça ne craint pas les buissons épineux. Heureusement, à force de descendre, j’avise de nouvelles ruines et rassure Céline autant que moi en lui rappelant la fameuse loi ruine = sentier. Mais l’idée ne l’enthousiasme plus comme avant. pourtant cette fois ci, les ruines sont bien au débouché d’un beau sentier bien tracé. En fait pendant deux kilomètres le sentier ne fait que traverser des ruines héroïques bâties avec pierres cyclopéennes. Une passe semble même avoir été fortifiée. Un bassin asséché en contrebas atteste qu’autrefois une communauté prospère a pu vivre là. Aujourd’hui seul un couple de mûriers pousse encore. Notre eau tirant à sa fin, nous faisons une razzia de leurs mûres en espérant qu’elles nous hydrateront un petit peu.
Finalement le sentier retrouve enfin un ruisseau, il est 16h, cela fait 6h30 que nous sommes partis, ouf! Mais comment se fait-il que nous devions franchir des portillons pour sortir de la montagne? Nous nous faisons discrets comme des voleurs de pommes mais quelqu’un nous hèle. C’est une maman aux yeux bleus et rieurs, qui nous invite à boire le thé. Malheureusement, elle ne parle ni russe ni anglais, seulement tadjik, et nous attendons son mari qui lui, a fait l’armée en Russie. Pendant ce temps là une fille de la maison a remis du bois dans l’âtre qui se tient dans un coin de la cour, pour faire chauffer le thé. Nous attendons indolents dans le fameux lit ouzbèque, qui a été installé sur une estrade en bois à cheval sur la maison et un arbre, en surplomb du ruisseau. Sur des pierres en bas sèchent des peaux de moutons, et les frimousses des filles de la maison se succèdent en haut de l’échelle qui mène à notre perchoir pour nous dévisager. Chaque fois, de grands yeux bleus et bridés, rieurs. L’une des filles a une jolie boucle d’oreille au nez. Finalement le papa arrive, et c’est l’orgie!
Déjà que nous avions eu du mal à nous remettre du méchoui que notre chauffeur avait organisé à notre insu, mais derrière l’hôtesse de la guest house avait surenchéri avec un dîner plantureux et un petit déjeuner miraculeux à base de crêpes, beignets, gâteaux et noix. A midi en ouvrant le sac de notre pique nique, nous avions découvert la même chose en plus abondant. Alors quand la maman débarque les mains pleines et dépose sur la couverture devant nous de multiples plats, Céline se sent défaillir… Nous trempons la cuillère dans le lait fermenté à quelques reprises, nous manquons de nous étouffer en avalant un œuf, nous plongeons quelques bouchées de pain dans la confiture (le père en a rompu deux en notre honneur) afin de ne pas manquer à nos devoirs de convives, mais nous frôlons le haut le cœur. Entre deux bouchées nous apprenons que la famille est là pour l’été, et qu’en cette saison les enfants ne sont donc pas à l’école car il y a du pain sur la planche à la ferme. Dans les hauteurs, nous les avons entendu bêler, il n’y a pas moins de 3000 moutons! Qui paissent paisiblement, 300 vaches, et qui folâtrent on ne sait trop où, 500 chèvres! Pas vraiment besoin de garder tout ce beau monde, il revient naturellement le soir, car il n’y a rien à boire en altitude! En tout cas, quel cheptel! Finalement, au fil de la conversation, le papa nous apprend que les inscriptions arabisantes que nous cherchons depuis ce matin sont à quelques mètres de sa maison et se propose de nous guider. Ces quelques mètres sont les plus difficiles pour Céline car nous traversons deux fois la rivière à gué, alors qu’elle s’est ceinte dans son paréo pour cacher ses jambes et éviter de choquer nos hôtes (Les visages courroucés de vieilles bigotes lors de la montée lui avaient suggéré cette sage conduite). Mais sauter de pierre en pierre dans un tel accoutrement est difficile et elle finit par s’effondrer dans les bras de notre guide de fortune, après avoir partiellement glissé dans l’eau! Les inscriptions sont là, en arabe persan effectivement, sur une vaste plaque de schiste verticale au dessus du cours d’eau. Nous avons un peu trop mal aux pieds pour nous émouvoir comme il faudrait, mais la mission est accomplie et c’est déjà un bel exploit! En redescendant nous croisons les fameux ponts que nous devions traverser et réalisons que celui que nous avions emprunté ne faisait pas partie de la liste.
Finalement le sentier retrouve enfin un ruisseau, il est 16h, cela fait 6h30 que nous sommes partis, ouf! Mais comment se fait-il que nous devions franchir des portillons pour sortir de la montagne? Nous nous faisons discrets comme des voleurs de pommes mais quelqu’un nous hèle. C’est une maman aux yeux bleus et rieurs, qui nous invite à boire le thé. Malheureusement, elle ne parle ni russe ni anglais, seulement tadjik, et nous attendons son mari qui lui, a fait l’armée en Russie. Pendant ce temps là une fille de la maison a remis du bois dans l’âtre qui se tient dans un coin de la cour, pour faire chauffer le thé. Nous attendons indolents dans le fameux lit ouzbèque, qui a été installé sur une estrade en bois à cheval sur la maison et un arbre, en surplomb du ruisseau. Sur des pierres en bas sèchent des peaux de moutons, et les frimousses des filles de la maison se succèdent en haut de l’échelle qui mène à notre perchoir pour nous dévisager. Chaque fois, de grands yeux bleus et bridés, rieurs. L’une des filles a une jolie boucle d’oreille au nez. Finalement le papa arrive, et c’est l’orgie!
Déjà que nous avions eu du mal à nous remettre du méchoui que notre chauffeur avait organisé à notre insu, mais derrière l’hôtesse de la guest house avait surenchéri avec un dîner plantureux et un petit déjeuner miraculeux à base de crêpes, beignets, gâteaux et noix. A midi en ouvrant le sac de notre pique nique, nous avions découvert la même chose en plus abondant. Alors quand la maman débarque les mains pleines et dépose sur la couverture devant nous de multiples plats, Céline se sent défaillir… Nous trempons la cuillère dans le lait fermenté à quelques reprises, nous manquons de nous étouffer en avalant un œuf, nous plongeons quelques bouchées de pain dans la confiture (le père en a rompu deux en notre honneur) afin de ne pas manquer à nos devoirs de convives, mais nous frôlons le haut le cœur. Entre deux bouchées nous apprenons que la famille est là pour l’été, et qu’en cette saison les enfants ne sont donc pas à l’école car il y a du pain sur la planche à la ferme. Dans les hauteurs, nous les avons entendu bêler, il n’y a pas moins de 3000 moutons! Qui paissent paisiblement, 300 vaches, et qui folâtrent on ne sait trop où, 500 chèvres! Pas vraiment besoin de garder tout ce beau monde, il revient naturellement le soir, car il n’y a rien à boire en altitude! En tout cas, quel cheptel! Finalement, au fil de la conversation, le papa nous apprend que les inscriptions arabisantes que nous cherchons depuis ce matin sont à quelques mètres de sa maison et se propose de nous guider. Ces quelques mètres sont les plus difficiles pour Céline car nous traversons deux fois la rivière à gué, alors qu’elle s’est ceinte dans son paréo pour cacher ses jambes et éviter de choquer nos hôtes (Les visages courroucés de vieilles bigotes lors de la montée lui avaient suggéré cette sage conduite). Mais sauter de pierre en pierre dans un tel accoutrement est difficile et elle finit par s’effondrer dans les bras de notre guide de fortune, après avoir partiellement glissé dans l’eau! Les inscriptions sont là, en arabe persan effectivement, sur une vaste plaque de schiste verticale au dessus du cours d’eau. Nous avons un peu trop mal aux pieds pour nous émouvoir comme il faudrait, mais la mission est accomplie et c’est déjà un bel exploit! En redescendant nous croisons les fameux ponts que nous devions traverser et réalisons que celui que nous avions emprunté ne faisait pas partie de la liste.