Samedi 11 avril, dimanche 12
Antananarivo
Nous atterrissons vendredi 10 au soir sur une autre planète. Tana c'est la capitale, et cette capitale vit dans un autre espace temps que le reste du pays!
Tout d'abord, pour notre deuxième atterrissage à Tana, nous sommes accueillis par le frère de Mario, Nico. C'est le même que son frère, avec un ou deux ans de plus, et la tête un peu plus ronde. Dans la nuit, nous avions même cru que c'était son cadet.
Cette fois-ci, dès les premiers tours de roue sur le plancher des vaches, nous n'avons plus du tout l'impression d'être à la campagne... Au contraire nous sommes abasourdis par le nombre de voitures, par la profusion des boutiques et la diversité de leur offre. Nous sommes pris dans les embouteillages très rapidement, et malgré l'éclairage urbain plus ou moins absent, nous voyons bien l'activité, le bouillonnement humain inimaginable dans les autres villes. Des cohortes de taxibe (taxis collectifs) pleins à craquer se suivent à la queue leu leu, faisant rentrer et sortir les employés qui finissent leur journée ; voitures, piétons, scooters, jouent au jeu du chat et de la souris, mais toujours avec bonhommie. La priorité serait ici plutôt à gauche (ça varie en fonction des villes), mais de toute façon on n'hésite pas à laisser passer. Très peu de charrettes à bras, nous sommes de retour dans le XXème siècle.
A Tana, nous avons trouvé une vraie capitale où l'on sent le poids de l'histoire, de la culture, d'une population en marche.
La cité a été choisie comme capitale par les rois malgaches à la fin du XVIIIème siècle, et le roi depuis cette époque là, réside au sommet de la colline d'Antananarivo, à l'intérieur de la Rova. Les personnage influents, puissants, et riches, habitent autour ; les hauteurs appartiennent donc aux élites. Au pied de la colline, c'est une plaine dévolue à la culture, principalement du riz, et au delà, d'autres collines que les rois avaient conquises, avec leurs châteaux et leurs élites sur les sommets, à perte de vue.
Et puis les européens sont arrivés, d'abord les portugais, comme d'habitude, à Diego Suarez, mais ils n'ont pas transformé l'essai. Après vinrent les anglais, puis les français, et ce sont les français qui conservèrent l'île au terme des accords de Berlin en 1885. Ainsi au XIXème siècle les souverains malgaches étaient-ils sous l'influence européenne, de façon plus ou moins consentie. Dans un premier temps les populations converties par les missionnaires européens avaient été passées au fil de la sagaie ou jetées du haut des falaises par la population restée fidèle à sa culture ancestrale. Et puis finalement, c'est une reine elle-même qui s'est convertie. Un peu plus tard, l'influence ne suffit plus et le camp militaire français bombarde la palais de la reine, on l'exile en Algérie, et Madagascar devient une colonie. Toutes ces époques se lisent dans l'urbanisme.
Au sommet de la ville, le palais de la reine, un cube de granit percé régulièrement de fenêtres en arches, avec à ses quatre coins, quatre tours. C'est majestueux, massif, et où que l'on soit dans la ville, on en contemple la magnificence
Tout d'abord, pour notre deuxième atterrissage à Tana, nous sommes accueillis par le frère de Mario, Nico. C'est le même que son frère, avec un ou deux ans de plus, et la tête un peu plus ronde. Dans la nuit, nous avions même cru que c'était son cadet.
Cette fois-ci, dès les premiers tours de roue sur le plancher des vaches, nous n'avons plus du tout l'impression d'être à la campagne... Au contraire nous sommes abasourdis par le nombre de voitures, par la profusion des boutiques et la diversité de leur offre. Nous sommes pris dans les embouteillages très rapidement, et malgré l'éclairage urbain plus ou moins absent, nous voyons bien l'activité, le bouillonnement humain inimaginable dans les autres villes. Des cohortes de taxibe (taxis collectifs) pleins à craquer se suivent à la queue leu leu, faisant rentrer et sortir les employés qui finissent leur journée ; voitures, piétons, scooters, jouent au jeu du chat et de la souris, mais toujours avec bonhommie. La priorité serait ici plutôt à gauche (ça varie en fonction des villes), mais de toute façon on n'hésite pas à laisser passer. Très peu de charrettes à bras, nous sommes de retour dans le XXème siècle.
A Tana, nous avons trouvé une vraie capitale où l'on sent le poids de l'histoire, de la culture, d'une population en marche.
La cité a été choisie comme capitale par les rois malgaches à la fin du XVIIIème siècle, et le roi depuis cette époque là, réside au sommet de la colline d'Antananarivo, à l'intérieur de la Rova. Les personnage influents, puissants, et riches, habitent autour ; les hauteurs appartiennent donc aux élites. Au pied de la colline, c'est une plaine dévolue à la culture, principalement du riz, et au delà, d'autres collines que les rois avaient conquises, avec leurs châteaux et leurs élites sur les sommets, à perte de vue.
Et puis les européens sont arrivés, d'abord les portugais, comme d'habitude, à Diego Suarez, mais ils n'ont pas transformé l'essai. Après vinrent les anglais, puis les français, et ce sont les français qui conservèrent l'île au terme des accords de Berlin en 1885. Ainsi au XIXème siècle les souverains malgaches étaient-ils sous l'influence européenne, de façon plus ou moins consentie. Dans un premier temps les populations converties par les missionnaires européens avaient été passées au fil de la sagaie ou jetées du haut des falaises par la population restée fidèle à sa culture ancestrale. Et puis finalement, c'est une reine elle-même qui s'est convertie. Un peu plus tard, l'influence ne suffit plus et le camp militaire français bombarde la palais de la reine, on l'exile en Algérie, et Madagascar devient une colonie. Toutes ces époques se lisent dans l'urbanisme.
Au sommet de la ville, le palais de la reine, un cube de granit percé régulièrement de fenêtres en arches, avec à ses quatre coins, quatre tours. C'est majestueux, massif, et où que l'on soit dans la ville, on en contemple la magnificence
Les personnages influents de la royauté vivent autour, pendant longtemps dans des constructions en bois, puis en brique. Il faut dire qu'une loi interdisait aux malgaches d'utiliser des matériaux inaltérables pour construire leurs habitations, afin de ne pas se mesurer à Dieu. Donc les seuls matériaux utilisés étaient le bois et la terre. Mais à force de déforestation, la même reine qui s'était convertie au christianisme décida d'autoriser l'utilisation des autres matériaux, à savoir la pierre ou la brique. Elle fit donc édifier son palais en granit, et les nobles bâtirent leurs maisons en briques, et c'est ainsi que Tana devint la ville d'ocre rouge qu'elle est encore aujourd'hui.
Aux débuts de l'influence européenne, les anglais étaient la puissance dominante, et les constructions suivirent leurs modèles, ce qui explique l'architecture et ses évolutions décrites au début du voyage. Les mêmes schémas ont été suivis à Tana : les maisons sont rectangulaires, avec des colonnes sur le pourtour qui reçoivent un balcon à l'étage.
L'influence française augmentant, le traitement des balcons évolue, l'esthétique change et on retrouve les belles varangues telles qu'on peut en observer à la Réunion. Mais on ne se contente pas de construire des maisons, on bâtit aussi des églises. Les anglais les premiers ont édifié leur belle église anglicane telle qu'on pourrait la trouver dans la campagne de Cornouaille et que l'on retrouve aujourd'hui inchangée avec ses bancs de palissandre polis, son petit orgue, sa petite horloge. Les français ont suivi, mais les anglais n'ont pas pour autant arrêté leur prosélytisme, si bien que la ville s'est couverte de clochers. Et le mouvement ne s'est jamais arrêté, les malgaches étant d'origine à la fois monothéistes et animistes, ce qui les rendait tout à fait perméables aux religions révélées. Ainsi les églises catholiques succèdent aux églises anglicanes qui succèdent aux églises luthériennes qui côtoient les églises orthodoxes, qui ne font pas d'ombre à la mosquée, qui elle même ne fait pas le poids devant toutes les chapelles de l'éveil, les pentecôtistes, les baptistes, les témoins de Jéhovah...
L'influence française augmentant, le traitement des balcons évolue, l'esthétique change et on retrouve les belles varangues telles qu'on peut en observer à la Réunion. Mais on ne se contente pas de construire des maisons, on bâtit aussi des églises. Les anglais les premiers ont édifié leur belle église anglicane telle qu'on pourrait la trouver dans la campagne de Cornouaille et que l'on retrouve aujourd'hui inchangée avec ses bancs de palissandre polis, son petit orgue, sa petite horloge. Les français ont suivi, mais les anglais n'ont pas pour autant arrêté leur prosélytisme, si bien que la ville s'est couverte de clochers. Et le mouvement ne s'est jamais arrêté, les malgaches étant d'origine à la fois monothéistes et animistes, ce qui les rendait tout à fait perméables aux religions révélées. Ainsi les églises catholiques succèdent aux églises anglicanes qui succèdent aux églises luthériennes qui côtoient les églises orthodoxes, qui ne font pas d'ombre à la mosquée, qui elle même ne fait pas le poids devant toutes les chapelles de l'éveil, les pentecôtistes, les baptistes, les témoins de Jéhovah...
Le dimanche matin, la ville est recouverte de chants religieux et de carillons. Les piétons sont impeccables, avec généralement un missel à la main, et se pressent en famille, vers l'église du quartier. Nous qui sommes à l'hôtel chez Francis, nous sommes voisins d'une grande église néogothique en brique, tout à fait dans le genre de celle de Tillières, avec de très beaux vitraux réalisés en France, et une grotte de Lourdes artificielle recouverte d'ex voto tout à fait contemporains. Mais nous n'irons pas, nous préférons relier la cathédrale qui propose une messe en français. Il faut savoir que la cathédrale a tout de même reçu la visite de Jean Paul II en 89, à la faveur de la béatification de Victoire RASOAMANARIVO.
La cathédrale est un modèle réduit de cathédrale. En fait c'est une autre église néogothique, mais en granit cette fois. Les voûtes ne sont pas à croisées d'ogive et c'est un plafond lambrissé qui donne l'illusion gothique. Pas de grandes ouvertures vitrées, mais c'est tant mieux pour la température intérieure. A l'entrée, deux tours clocher pour faire comme les grandes. L'assemblée est constituée de toute l'intelligentsia de Tana. Les hommes sont en costard, les femmes en tailleur. Tout le monde est venu en voiture, de sorte que la sortie de la messe crée un bouchon dans le centre ville. C'est un père blanc qui officie, il est entouré de huit assistants en aube dont deux filles, plus un enfant de cœur. En ce dimanche de Pâque, le curé fait une belle homélie sur la paix du Christ et l'importance pour chacun d'en être les promoteurs. Au moment de se donner justement la Paix du Christ, nous participons à une effusion traditionnelle qui nous est inconnue : nous tendons une main à chacun de nos voisins afin de former une chaîne humaine, et ainsi reliés nous entonnons : "La paix, oui la paix, c'est le don du Seigneur", tout en oscillant lentement comme une marée humaine. C'est assez émouvant et l'on sent nettement une énergie passer.
La cathédrale est un modèle réduit de cathédrale. En fait c'est une autre église néogothique, mais en granit cette fois. Les voûtes ne sont pas à croisées d'ogive et c'est un plafond lambrissé qui donne l'illusion gothique. Pas de grandes ouvertures vitrées, mais c'est tant mieux pour la température intérieure. A l'entrée, deux tours clocher pour faire comme les grandes. L'assemblée est constituée de toute l'intelligentsia de Tana. Les hommes sont en costard, les femmes en tailleur. Tout le monde est venu en voiture, de sorte que la sortie de la messe crée un bouchon dans le centre ville. C'est un père blanc qui officie, il est entouré de huit assistants en aube dont deux filles, plus un enfant de cœur. En ce dimanche de Pâque, le curé fait une belle homélie sur la paix du Christ et l'importance pour chacun d'en être les promoteurs. Au moment de se donner justement la Paix du Christ, nous participons à une effusion traditionnelle qui nous est inconnue : nous tendons une main à chacun de nos voisins afin de former une chaîne humaine, et ainsi reliés nous entonnons : "La paix, oui la paix, c'est le don du Seigneur", tout en oscillant lentement comme une marée humaine. C'est assez émouvant et l'on sent nettement une énergie passer.
La messe d'une heure trente globalement est ennuyeuse, car même si le public chante juste et que la chorale des jeunes dirige bien le chant, les édiles n'abaissent pas leur dignité à donner de la voix et restent totalement statiques, contrairement à ce que nous avions pris l'habitude de voir ailleurs dans le pays. En revanche, échauffement de l'ambiance lorsque nous avons droit à la présentation en direct du conseil paroissial et de ses quinze membres, choisis à l'issue d'une élection qui avait dû tenir la communauté en haleine, car ces nominations suscitent force applaudissements.
Les présidents et vice présidents en cravate rouge sont très dignes, les dames désignées secrétaires sont très élégantes, ils pourraient tous aussi bien siéger à un conseil d'administration.
Bref, tous ces clochers structurent le paysage, tout comme l'urbanisme laissé par les français.
Comme je l'ai dit, les maisons typiquement malgaches, construites en briques, suivent une mode plutôt anglaise. Mais les français ont énormément construit : un quartier administratif qui ferait penser à celui de Nantes, la tour de Bretagne en moins, des immeubles d'habitations, des palais à la Mansarde en brique dont le plus bel exemple a été adopté par le président lui même et prendrait sa place sans rougir dans l'arrière pays toulousain, des maisons, des lieux culturels, des lieux commerciaux, des immeubles, des lycées, des collèges, une gare, un stade dans lequel De Gaulle par deux fois est venu prononcer des discours.... Ils ont tracé les rues, défini les axes, mis en place les réseaux et les plaques d'égouts sont encore siglées Pont à Mousson.
L'histoire la plus ancienne de Tana se trouve donc sur les hauteurs de la colline, avec le château de la reine et les constructions des notables; comme les hauteurs étaient déjà occupées, c'est à partir de la mi-hauteur jusqu'à la plaine qu'on lit l'histoire de la colonisation, avec tous les styles architecturaux qui se succèdent au fur et à mesure que l'on descend la colline jusqu'aux immeubles des années 50 tout en bas, autour de l'avenue de l'indépendance. D'ailleurs les rues autour de cet axe ont un petit quelque chose de Sète ou tout simplement de sous préfecture, comme d'ailleurs bien des villes coloniales.
Le boulevard de l'indépendance, c'est l'axe de Tana. Édifié par les français dans un style très années 30, c'est très large, avec des bâtiments à arcades autour, commençant par la gare ferroviaire qui est le cœur de l'appareil colonisateur, et aboutissant à la base de la colline qui s'enroule autour à la façon d'un haricot. Dans les alentours immédiats du boulevard on peut trouver de vieux cinémas Olympia, Rex et consorts, dont il ne reste plus que les immenses carcasses abandonnées et rouillées, à moins qu'ils n'accueillent à la place des églises évangélistes.
Depuis cet axe névralgique jusqu'à la colline, partout de larges escaliers le long desquels on peut tâter le pouls de la société tananarivienne. Les escaliers démarrent et aboutissent toujours d'ailleurs dans un marché plus ou moins étendu.
Tout est en passablement mauvais état et sale, mais à l'exception des établissements scolaires publics qui semblent carrément tomber en ruine, l'architecture et l'urbanisme de la ville sont respectés et entretenus, dans la mesure des moyens malgaches, et la ville semble obéir à des règles strictes qui doivent être le fait d'un réel pouvoir politique.
Les présidents et vice présidents en cravate rouge sont très dignes, les dames désignées secrétaires sont très élégantes, ils pourraient tous aussi bien siéger à un conseil d'administration.
Bref, tous ces clochers structurent le paysage, tout comme l'urbanisme laissé par les français.
Comme je l'ai dit, les maisons typiquement malgaches, construites en briques, suivent une mode plutôt anglaise. Mais les français ont énormément construit : un quartier administratif qui ferait penser à celui de Nantes, la tour de Bretagne en moins, des immeubles d'habitations, des palais à la Mansarde en brique dont le plus bel exemple a été adopté par le président lui même et prendrait sa place sans rougir dans l'arrière pays toulousain, des maisons, des lieux culturels, des lieux commerciaux, des immeubles, des lycées, des collèges, une gare, un stade dans lequel De Gaulle par deux fois est venu prononcer des discours.... Ils ont tracé les rues, défini les axes, mis en place les réseaux et les plaques d'égouts sont encore siglées Pont à Mousson.
L'histoire la plus ancienne de Tana se trouve donc sur les hauteurs de la colline, avec le château de la reine et les constructions des notables; comme les hauteurs étaient déjà occupées, c'est à partir de la mi-hauteur jusqu'à la plaine qu'on lit l'histoire de la colonisation, avec tous les styles architecturaux qui se succèdent au fur et à mesure que l'on descend la colline jusqu'aux immeubles des années 50 tout en bas, autour de l'avenue de l'indépendance. D'ailleurs les rues autour de cet axe ont un petit quelque chose de Sète ou tout simplement de sous préfecture, comme d'ailleurs bien des villes coloniales.
Le boulevard de l'indépendance, c'est l'axe de Tana. Édifié par les français dans un style très années 30, c'est très large, avec des bâtiments à arcades autour, commençant par la gare ferroviaire qui est le cœur de l'appareil colonisateur, et aboutissant à la base de la colline qui s'enroule autour à la façon d'un haricot. Dans les alentours immédiats du boulevard on peut trouver de vieux cinémas Olympia, Rex et consorts, dont il ne reste plus que les immenses carcasses abandonnées et rouillées, à moins qu'ils n'accueillent à la place des églises évangélistes.
Depuis cet axe névralgique jusqu'à la colline, partout de larges escaliers le long desquels on peut tâter le pouls de la société tananarivienne. Les escaliers démarrent et aboutissent toujours d'ailleurs dans un marché plus ou moins étendu.
Tout est en passablement mauvais état et sale, mais à l'exception des établissements scolaires publics qui semblent carrément tomber en ruine, l'architecture et l'urbanisme de la ville sont respectés et entretenus, dans la mesure des moyens malgaches, et la ville semble obéir à des règles strictes qui doivent être le fait d'un réel pouvoir politique.
Notre séjour à Tana nous permet de bien nous pénétrer de l'âme de cette ville, en passant une journée entière avec un guide culturel, et deux jours en autonomie.
Ainsi, s'il fallait conserver quelques images de Tana, ce serait bien entendu le palais de la reine dont le granit se colore aux rayons du soir, les taxis beiges, 4L, 2CV ou R9 passant devant les hautes façades de briques des maisons traditionnelles avec au RDC des gargottes aux devantures criardes, les trottoirs défoncés, la surprises de retrouver tout le parc automobile français de 1950 à 1999 (Et oui, si vous vous demandiez ce que devenaient les vieilles voitures, elles sont toutes parties là bas!), les files d'attente aux fontaines municipales, où l'on peut laisser ses bidons jaunes de 20L sans surveillance une partie de la journée, attendant que la pression arrive jusqu'à cette fontaine, et puis les disparités sociales. Le soir autour des bidons c'est la cohue, et toute la journée c'est le ballet des déguenillés qui poussent des chariotes en bois déglinguées dont les roues sont parfois rondes quand elles ne sont pas carrées, surchargées de bidons pleins ; ces colporteurs livrent les maisons de ceux qui ont les moyens de ne pas faire la queue.
Tana est une ville riche, dans laquelle survivent (ou pas) des très pauvres, qui tirent leur subsistance de tas de déchets puants qui ne ressemblent même plus à des déchets mais simplement à du lisier. Partout des petits vieux qui parlent un français châtié et qui mendient misérablement, leurs pieds purulents déformés comme ceux de Belzébuth. Et encore, nous n'avons pas traversé les "ghettos", et nous ne nous sommes pas aventurés dans la ville basse qui a été victime des inondations le mois dernier. D'ailleurs vu de la colline, de larges pans de la plaine en contrebas réfléchissent encore les nuages, engloutis. Tous les gens que nous avons rencontrés nous ont mis en garde vis à vis de la sécurité : la voiture doit être toujours fermée, et à pied on emporte le moins de choses possible, on verrouille, et on n'exhibe rien. D'ailleurs mieux qu'une longue explication, il suffit de poser l'œil sur une de ces camionnettes de déblocage de téléphones pour réaliser qu'ici les portables doivent changer de main avec une régularité de métronome. Et bien sûr, interdit de sortir à pied la nuit...
Dimanche est une journée un peu spéciale dans le sens que une fois les fidèles rentrés dans leurs foyers, il n'y a presque plus personne en ville hormis les mendiants et les SDF!
Les riches nous les avons croisés aussi, à l'église d'abord, et puis lors de notre tournée des bars samedi soir : nous avions convenu avec Mario lors de notre parcours dans le pays que nous boirions un verre de rhum à Tana avec lui, étant donné que pendant le voyage entre sa responsabilité professionnelle et sa crise de palu, il n'avait pas pu trinquer avec nous.
Fort de cette décision, il nous rejoint à l'hôtel alors que son frère s'apprête à nous quitter. Nous partons donc tous les quatre au bar. Le frère de Mario jette son dévolu sur un bar dans les parties basses de la colline, après que les embouteillages nous aient ballotés de gauche et de droite. Je précis les parties basses de la colline pour dire que ce n'est pas la super classe. Le bar est divisé en deux : l'étage qui fait bar, classique, calme. Et les sous sol où l'on chante, ambiance Karaoké. Nous descendons. La lumière faible est rouge. Un petit comptoir à droite en bois simple où trônent un calepin et une calculette. Deux serveurs autour et deux mecs qui discutent. A gauche une salle d'une trentaine de mètre carré avec à une de ses extrémités une estrade, deux hauts tabourets deux micros, et tout le long des trois autres murs, des tables basses, des petits bancs, des tabourets. Aux quatre coins des télés. Deux malgaches sont sur scène et chantent, plutôt bien, une chanson d'ici. Deux autres garçons sont dans un coin et discutent. Ici ce n'est pas le petit salon intimiste à la façon chinoise. Non c'est une représentation, un show, on doit vous entendre dans la rue, et le public, qui arrive petit à petit, applaudit autant l'énergie que la justesse du chant. Et ça c'est tant mieux, car la justesse du chant, ça n'est pas notre spécialité!
Ainsi, s'il fallait conserver quelques images de Tana, ce serait bien entendu le palais de la reine dont le granit se colore aux rayons du soir, les taxis beiges, 4L, 2CV ou R9 passant devant les hautes façades de briques des maisons traditionnelles avec au RDC des gargottes aux devantures criardes, les trottoirs défoncés, la surprises de retrouver tout le parc automobile français de 1950 à 1999 (Et oui, si vous vous demandiez ce que devenaient les vieilles voitures, elles sont toutes parties là bas!), les files d'attente aux fontaines municipales, où l'on peut laisser ses bidons jaunes de 20L sans surveillance une partie de la journée, attendant que la pression arrive jusqu'à cette fontaine, et puis les disparités sociales. Le soir autour des bidons c'est la cohue, et toute la journée c'est le ballet des déguenillés qui poussent des chariotes en bois déglinguées dont les roues sont parfois rondes quand elles ne sont pas carrées, surchargées de bidons pleins ; ces colporteurs livrent les maisons de ceux qui ont les moyens de ne pas faire la queue.
Tana est une ville riche, dans laquelle survivent (ou pas) des très pauvres, qui tirent leur subsistance de tas de déchets puants qui ne ressemblent même plus à des déchets mais simplement à du lisier. Partout des petits vieux qui parlent un français châtié et qui mendient misérablement, leurs pieds purulents déformés comme ceux de Belzébuth. Et encore, nous n'avons pas traversé les "ghettos", et nous ne nous sommes pas aventurés dans la ville basse qui a été victime des inondations le mois dernier. D'ailleurs vu de la colline, de larges pans de la plaine en contrebas réfléchissent encore les nuages, engloutis. Tous les gens que nous avons rencontrés nous ont mis en garde vis à vis de la sécurité : la voiture doit être toujours fermée, et à pied on emporte le moins de choses possible, on verrouille, et on n'exhibe rien. D'ailleurs mieux qu'une longue explication, il suffit de poser l'œil sur une de ces camionnettes de déblocage de téléphones pour réaliser qu'ici les portables doivent changer de main avec une régularité de métronome. Et bien sûr, interdit de sortir à pied la nuit...
Dimanche est une journée un peu spéciale dans le sens que une fois les fidèles rentrés dans leurs foyers, il n'y a presque plus personne en ville hormis les mendiants et les SDF!
Les riches nous les avons croisés aussi, à l'église d'abord, et puis lors de notre tournée des bars samedi soir : nous avions convenu avec Mario lors de notre parcours dans le pays que nous boirions un verre de rhum à Tana avec lui, étant donné que pendant le voyage entre sa responsabilité professionnelle et sa crise de palu, il n'avait pas pu trinquer avec nous.
Fort de cette décision, il nous rejoint à l'hôtel alors que son frère s'apprête à nous quitter. Nous partons donc tous les quatre au bar. Le frère de Mario jette son dévolu sur un bar dans les parties basses de la colline, après que les embouteillages nous aient ballotés de gauche et de droite. Je précis les parties basses de la colline pour dire que ce n'est pas la super classe. Le bar est divisé en deux : l'étage qui fait bar, classique, calme. Et les sous sol où l'on chante, ambiance Karaoké. Nous descendons. La lumière faible est rouge. Un petit comptoir à droite en bois simple où trônent un calepin et une calculette. Deux serveurs autour et deux mecs qui discutent. A gauche une salle d'une trentaine de mètre carré avec à une de ses extrémités une estrade, deux hauts tabourets deux micros, et tout le long des trois autres murs, des tables basses, des petits bancs, des tabourets. Aux quatre coins des télés. Deux malgaches sont sur scène et chantent, plutôt bien, une chanson d'ici. Deux autres garçons sont dans un coin et discutent. Ici ce n'est pas le petit salon intimiste à la façon chinoise. Non c'est une représentation, un show, on doit vous entendre dans la rue, et le public, qui arrive petit à petit, applaudit autant l'énergie que la justesse du chant. Et ça c'est tant mieux, car la justesse du chant, ça n'est pas notre spécialité!
Dans ce bouiboui obscur, lorsque vient la serveuse pour prendre nos commandes, elle ne se contente pas de nos consommations liquides, il faut encore lui préciser les morceaux que nous comptons interpréter. Vis à vis des consommations, comme prévu Mario commande du rhum, mais nous avons la surprise de voir apparaître non pas des verres, mais des bouteilles! Mais ça passe comme des verres... Très vite, les premières chansons passées, nous commandons aussi à manger, et les bouteilles sont déjà vides il faut recommander, si bien que nous ne remplissons même plus des petits papiers pour obtenir des chansons, mais courons directement dans la cahute du DJ (un adolescent assez court avec une grosse casquette américaine rouge vissée sur la tête), qui se fait un plaisir de répondre à nos demandes. Nous découvrons que la musique française est aussi populaire ici qu'en France ; d'autre part le Disc Jockey a une affinité particulière pour le rap français. Pour le coup, il est même plus calé que nous! Quand Céline et moi interprétons (difficilement) le Bilan des Neg' Marrons, nous avons droit à un triomphe! Le plus agréable à chanter reste Cabrel. Nous ne monopolisons pas l'estrade et soutenons chaleureusement les autres tablées, notamment lors des démonstrations de rap et de slam malgache ; nous faisons preuve de plus de crispation dans le cas des chansons romantiques sirupeuses que nous interprètent le couple d'une grosse femme sans voix et son mari endormi.
Une fois que l'ambiance a bien monté, Mario décide qu'il faut "continuer la route". Nous nous interrogeons un peu, car nous savons qu'il a quitté sa femme pour 5 minutes 3 heures auparavant après 12h de sommeil et quinze jours d'absence, et son frère lui aussi se fait appeler régulièrement par sa tendre fiancée. Mais nous savons aussi que Mario a rendez-vous avec son beau cousin. Un rendez-vous familial au cœur de la nuit?
A deux pas de notre hôtel se tient en fait le QG de Mario, et son beau cousin l'y attend effectivement, sans pour autant s'ennuyer. Le QG est ce qui doit se faire de plus hype en ville, un bar très branché, un peu rétro, un peu moderne, où tout est nickel propre, droit et lisse, même dans les courbes. Les consommations y sont en moyenne quatre fois plus chères que dans le précédent bar (encore que ça reste très acceptable avec la caïpirinha à moins de 3€), et le public est tout aussi branché que le bar, y compris le beau cousin. Ici on parle français entre soi, limite avec l'accent parisien, on est habillé avec une élégance décontractée, un peu hypster, un peu bobo. C'est très étrange de débarquer dans un bar parisien au sortir d'un 4x4 énorme qui a fini de rebondir sur les pavés défoncés de Tana...
Et nous reprenons les parties de chant, mais cette fois-ci nous partageons le micro avec l'assistance, car ici tout le monde connaît par cœur les chansons françaises : Renaud, Tryo, Gainsbourg...
Cet élitisme du français s'explique par l'éducation : à Madagascar l'éducation est en français. Or l'éducation, même gratuite, est payante, car si l'état met à disposition quelques écoles et professeurs, il n'y en a pas assez et les parents se cotisent pour en embaucher d'autres. Et dans les campagnes les enfants sont plus utiles aux champs. Ainsi une bonne partie de la population n'a pas accès à l'éducation et par conséquent, ne parle pas ou mal, le français.
Ainsi par exemple dimanche après midi, nous étions attablés dans ce qui se fait de plus agréable comme restaurant : Tana, en terrasse ombragée, au pied du château de la reine, avec la ville à nos pieds, une petite brise pour respirer, mais une chaleur assez forte pour engourdir les sens. Nous y avions été la veille pour fêter mon anniversaire et j'y avais soufflé mes bougies sur un gâteau à mon nom et recouvert de crème. Dimanche nous y revenons donc, et nous nous retrouvons à côté d'une table d'ados attardés puants de suffisance. De toute évidence ils sont riches comme Crésus et se donnent des attitudes pédantes, c'en est insupportable. Ils sont pétris de culture française et pour le coup, parlent même avec l'accent parisien.
Nous préférons donc nous plonger dans le bouillonnement de la ville, quoi qu'un peu de luxe parfois ne soit pas pour déplaire. Ainsi, après avoir bien démantibulé dans les rues, où à notre plus grande satisfaction, nous passons de plus en plus inaperçus, observé les petits commerces, rêvé sur leur offre, profité d'une petite pause au calme du jardin du café de la gare en écoutant un guitariste dans le cadre du festival de la guitare classique à Tana, nous nous amusons à lister les marchands des escaliers de Tana : un fabricant de tampons administratifs, un marchand de bibles, un marchand de piles et babioles électriques, un autre fabricant de tampons, un marchand de miels et liquides inconnus, un marchand de gâteaux de riz dans des feuilles de bananier, un autre marchand de tampons, un maroquinier d'articles peaux de crocodiles, un autre marchand de tampons...
Une fois que l'ambiance a bien monté, Mario décide qu'il faut "continuer la route". Nous nous interrogeons un peu, car nous savons qu'il a quitté sa femme pour 5 minutes 3 heures auparavant après 12h de sommeil et quinze jours d'absence, et son frère lui aussi se fait appeler régulièrement par sa tendre fiancée. Mais nous savons aussi que Mario a rendez-vous avec son beau cousin. Un rendez-vous familial au cœur de la nuit?
A deux pas de notre hôtel se tient en fait le QG de Mario, et son beau cousin l'y attend effectivement, sans pour autant s'ennuyer. Le QG est ce qui doit se faire de plus hype en ville, un bar très branché, un peu rétro, un peu moderne, où tout est nickel propre, droit et lisse, même dans les courbes. Les consommations y sont en moyenne quatre fois plus chères que dans le précédent bar (encore que ça reste très acceptable avec la caïpirinha à moins de 3€), et le public est tout aussi branché que le bar, y compris le beau cousin. Ici on parle français entre soi, limite avec l'accent parisien, on est habillé avec une élégance décontractée, un peu hypster, un peu bobo. C'est très étrange de débarquer dans un bar parisien au sortir d'un 4x4 énorme qui a fini de rebondir sur les pavés défoncés de Tana...
Et nous reprenons les parties de chant, mais cette fois-ci nous partageons le micro avec l'assistance, car ici tout le monde connaît par cœur les chansons françaises : Renaud, Tryo, Gainsbourg...
Cet élitisme du français s'explique par l'éducation : à Madagascar l'éducation est en français. Or l'éducation, même gratuite, est payante, car si l'état met à disposition quelques écoles et professeurs, il n'y en a pas assez et les parents se cotisent pour en embaucher d'autres. Et dans les campagnes les enfants sont plus utiles aux champs. Ainsi une bonne partie de la population n'a pas accès à l'éducation et par conséquent, ne parle pas ou mal, le français.
Ainsi par exemple dimanche après midi, nous étions attablés dans ce qui se fait de plus agréable comme restaurant : Tana, en terrasse ombragée, au pied du château de la reine, avec la ville à nos pieds, une petite brise pour respirer, mais une chaleur assez forte pour engourdir les sens. Nous y avions été la veille pour fêter mon anniversaire et j'y avais soufflé mes bougies sur un gâteau à mon nom et recouvert de crème. Dimanche nous y revenons donc, et nous nous retrouvons à côté d'une table d'ados attardés puants de suffisance. De toute évidence ils sont riches comme Crésus et se donnent des attitudes pédantes, c'en est insupportable. Ils sont pétris de culture française et pour le coup, parlent même avec l'accent parisien.
Nous préférons donc nous plonger dans le bouillonnement de la ville, quoi qu'un peu de luxe parfois ne soit pas pour déplaire. Ainsi, après avoir bien démantibulé dans les rues, où à notre plus grande satisfaction, nous passons de plus en plus inaperçus, observé les petits commerces, rêvé sur leur offre, profité d'une petite pause au calme du jardin du café de la gare en écoutant un guitariste dans le cadre du festival de la guitare classique à Tana, nous nous amusons à lister les marchands des escaliers de Tana : un fabricant de tampons administratifs, un marchand de bibles, un marchand de piles et babioles électriques, un autre fabricant de tampons, un marchand de miels et liquides inconnus, un marchand de gâteaux de riz dans des feuilles de bananier, un autre marchand de tampons, un maroquinier d'articles peaux de crocodiles, un autre marchand de tampons...
En remontant l'escalier en face, après avoir traversé le marché aux "bouquinistes" qui contient semble-t-il, tous les livres de Mada d'une part, tant ailleurs les librairies sont rares et peu achalandées, et surtout tous les livres égarés de la métropole, le décompte continue : un marchand de piles et lampes de poches, une marchande de savons, un marchand de pièces détachées de machines à coudre Singer à pédale, un marchand de vieilles machines à écrire et à coudre, un philatéliste numismate, un bouquiniste de livres scolaires français du collège, un marchand de cadenas, un autre marchand de vieilles machines à écrire et à coudre, derrière une échoppe un réparateur de frigos, puis une épicerie où les gens du quartier viennent chercher de l'huile alimentaire, pompée à même le baril...
Mais il faut bien finalement repartir, quitter les pavés et les escaliers, reprendre le 4x4, subir une dernière fois les embouteillages pour retrouver le petit aéroport, bien en avance afin d'assurer nos places qui pourraient être prises par les occupants d'un vol Tulear Mada qui a été annulé la veille et qui lorgnent maintenant sur nos places pour revenir en France.
Mario pourrait nous quitter maintenant, sa mission est finie, il nous a ramené à bon port sains et saufs. Malgré tout il attend avec nous, de longues heures, que nous puissions passer enfin de l'autre côté. Nous passons quelque temps dans un bar de station de service de l'autre côté du parking de l'aéroport, un lieu sombre et sale où viennent se délasser les employés de l'aéroport, en se remémorant nos plus belles aventures du voyage. Le temps est à la mélancolie.
Mais il faut bien finalement repartir, quitter les pavés et les escaliers, reprendre le 4x4, subir une dernière fois les embouteillages pour retrouver le petit aéroport, bien en avance afin d'assurer nos places qui pourraient être prises par les occupants d'un vol Tulear Mada qui a été annulé la veille et qui lorgnent maintenant sur nos places pour revenir en France.
Mario pourrait nous quitter maintenant, sa mission est finie, il nous a ramené à bon port sains et saufs. Malgré tout il attend avec nous, de longues heures, que nous puissions passer enfin de l'autre côté. Nous passons quelque temps dans un bar de station de service de l'autre côté du parking de l'aéroport, un lieu sombre et sale où viennent se délasser les employés de l'aéroport, en se remémorant nos plus belles aventures du voyage. Le temps est à la mélancolie.