Vendredi 03/04/2015 Ranomafana
Céline pense qu’il pleut, et c’est probable puisque nous sommes au cœur des forêts pluvieuses tropicales, mais ce n’est que le son du petit torrent qui court le long de notre bungalow. Pour autant, quantité de nuages gris s’accrochent aux collines, filant entre les arbres. Parfois un rayon de soleil perce et illumine telle ou telle partie de la forêt, permettant une sorte de transcendance ponctuelle de vert, et disparaît. Pour autant les rayons n’ont éclairé qu’en surface, mettant en valeur la densité de plantes par l’étendue de la palette des verts qu’ils ont révélé ; mais tout le mystère caché par la canopée reste invisible. Il paraît que jusque récemment, une ethnie de Madagascar habitait encore les bois, à la façon chasseur cueilleur. Mais la route les a attirés peu à peu, et ils ont quitté leurs citadelles dans la forêt primaire et secondaire, pour le bord de la route et l’agriculture. Pour autant cette modification culturelle étant très récente, un certain transfert de connaissances se fait et le centre de recherche international implanté à la périphérie de Ranomafana, tire parti de ces connaissances. Et puis d’ailleurs ces montagnards reviennent finalement à la forêt puisqu’à leur mort, leur dépouille rejoindra celles de leurs ancêtres dans la forêt, au creux de troncs taillés un peu comme des pirogues et refermés les uns sur les autres, ou bien dans des cavernes. Et puis les descendants dressent une pierre dans la forêt, à côté de celles des autres aïeux, afin que le disparu rejoigne la tribu des ses ancêtres, et que l’on ne l’oublie pas.
Aujourd’hui nous allons donc un peu parcourir ces sous bois, en compagnie de Mamy, un guide qui nous rappelle en tous points Rouslan mais en bronzé, et d’un rabatteur qui part devant nous gambader dans la forêt à la recherche de petites bêtes susceptibles de nous intéresser. Le côté positif de cette technique, c’est que chaque groupe de touristes ayant un rabatteur, ça fait un paquet de rabatteurs à piétiner dans les sous bois. Donc pour les lémuriens qui voulaient un peu d’intimité, c’est raté, parce qu’ils ont beau sauter d’arbres en arbres, ils ne peuvent passer entre les mailles du filet! Dès que l’un des rabatteurs a vu un lémurien, tous les téléphones de la forêt crépitent, et c’est le branle bas de combat, la ruée vers le hot spot!
La balade commence donc doucement, on nous présente toutes sortes de fougères plus ou moins arboricoles, plus ou moins épiphytes, mais pas de quoi casser quatre pattes à un canard! Des fougères, on en a aussi en Bretagne, alors même si elles ne sont pas accrochées en l’air, elles ne sont pas moins belles, pas moins denses, ils n’y a pas de quoi trop la ramener! Nous marchons à un train de sénateur, s’arrêtant toutes les trois minutes pour contempler un improbable bout de liane. Le doute nous envahit. Mais l'hallali sonne enfin, le rabatteur appelle notre guide par téléphone portable, il a repéré des lémuriens! Et effectivement, bien perchés dans les arbres, à peut être 8 ou 10m de haut, une sorte de petite peluche grise. Et puis une autre dans l’arbre d’à côté. Il faut se rapprocher, nous nous faufilons dans les buissons ; des arbres s’agitent soudainement, ce sont d’autres lémuriens qui arrivent, sautant d’arbre en arbre, et ils ne sont pas de la même espèce. Cette fois ci ce sont des makis à ventre roux. “Oh regarde celui là, juste devant nous!” Nous avons les yeux rivés dans les jumelles et dans le téléobjectif ; du coup les petits lémuriens nous semblent si proches que nous pourrions les toucher. Ils sont si concrets, si, mais mon dieu, ils nous pissent dessus! Avec l’effet grossissant, je panique et me jette en arrière! Je réussis heureusement à me rattraper à un arbre, mais je suis bon pour quelques éclaboussures! |
Nous passons ainsi une heure ou deux à nous faufiler sous les frondaisons, agrippés aux lignes de niveaux, piétinant dans les moisissures, ayant complètement quitté les sentiers balisés, suivant notre pisteur au gré de son ressenti. Il faut dire que son père était un de ces derniers hommes de la forêt ; du coup, lorsqu’il s’arrête comme le chien ayant reniflé sa proie, c’est généralement qu’il va nous dénicher un beau spécimen! Un oiseau du paradis! Avec une queue très longue, multicolore et plutôt rouge. Un caméléon de terre, marron. C’est bizarre au toucher le caméléon, on dirait qu’on a dans les mains un morceau de bois mort. Un serpent! Mais ce n’est pas venimeux à Madagascar. Des lémuriens mangeurs de bambous! Ces deux là sont connus car ce sont les deux derniers de leur espèce dans le parc, un frère et une sœur. Toutes les tentatives de réintroduction pour leur trouver des compagnons ont échoué, l’écosystème est trop particulier.
Les moments passés à nous faufiler, voire à ramper dans un dédale de lianes, de fougères et d’humus ont causé un déclic, dorénavant nous ne voyons plus la forêt comme avant : nous sommes sensibles à tous les mouvements, comme celui des feuilles mortes qui tombent lentement et régulièrement, alors que toute la canopée est verdoyante ; et dans cet incroyable fatras de nuances de vert, nous percevons les touches de couleurs, que ce soient les fleurs, souvent toutes petites et rarement singulièrement grosses lorsque ce sont des orchidées, ou encore les jets colorés d’oiseaux que nous avons à peine le temps de discerner. Nous sommes sensibles à tous les sons, le cri d’un lémurien, celui d’un oiseau de proie, le hurlement de mort d’un rat, le bourdonnement lointain d’une cascade, l’invraisemblable alarme incendie de telle sauterelle… |
Nos yeux suivent le parcours gracile de papillons aux ailes flamboyantes qui jettent de fugitifs éclairs bleus, nos narines vibrent aux bouffées de parfum capiteux qu’un courant d’air amène.
Le sentier monte, descend, tourne, très rapidement il nous devient impossible d’imaginer où nous sommes, d’où nous venons et où nous allons. Nous sommes à la totale merci de notre guide… Néanmoins celui ci ne se moque pas de nous, car bien vite nous avons semé tous les autres groupes de touristes, empruntant des sentiers plus abrupts, plus accidentés qui nous amènent à midi au pied d’une cataracte immense, telle que jamais je n’en avais vue de pareille. Elle est constituée de trois paliers et en même temps forme un coude à 90°, puis se sépare en plusieurs chutes qui saturent l’air de gouttelettes. Le débit est si important, le rideau d’eau si épais, qu’elle semble camoufler derrière ses draperies, des palais cachés. Le pique nique, simple et disposé sur des feuilles de bananiers cueillies là, est un enchantement.
Le sentier monte, descend, tourne, très rapidement il nous devient impossible d’imaginer où nous sommes, d’où nous venons et où nous allons. Nous sommes à la totale merci de notre guide… Néanmoins celui ci ne se moque pas de nous, car bien vite nous avons semé tous les autres groupes de touristes, empruntant des sentiers plus abrupts, plus accidentés qui nous amènent à midi au pied d’une cataracte immense, telle que jamais je n’en avais vue de pareille. Elle est constituée de trois paliers et en même temps forme un coude à 90°, puis se sépare en plusieurs chutes qui saturent l’air de gouttelettes. Le débit est si important, le rideau d’eau si épais, qu’elle semble camoufler derrière ses draperies, des palais cachés. Le pique nique, simple et disposé sur des feuilles de bananiers cueillies là, est un enchantement.
La balade reprend finalement à travers les cultures en terrasses, à flanc de colline, près avoir quitté le territoire du parc national, jusqu’à rallier la passerelle ruinée de la veille, sous laquelle des équipes mettent la dernière main à la construction d’une autre passerelle en bois.
Il manque encore quelques planches et garde-corps, mais déjà nous passons entre les ouvriers et nous traversons, non sans avoir observé au passage que la piscine des thermes est en cours de remplissage. Nous avons marché dix kilomètres, ce n’est pas énorme, mais sous une chaleur assez semblable à celle du sud de la France en plein été, lourde et capiteuse, et qui étourdit.
Nous avons bien mérité ce soir un apéro à base de brochettes de zébu grillé et de bières, dans un bouiboui au bord de la route. Celle-ci est à peine éclairée par deux lampadaires et les néons de quelques boutiques qui la bordent, mais au moins peut-on se voir, grâce au barrage hydroélectrique que les japonais ont construit un peu en amont. Cette lumière inespérée va nous permettre aussi d’échanger quelques balles au babyfoot avec Mario et un gamin du village, pour 0,015centimes la partie. Les babys sont à l’africaine, un peu branlants, et nous suspectons les balles d’être en fait de simples billes de déodorant.
D’autre part nous passons un certain temps à essayer de nous connecter à notre monde européen, mais en vain, malgré notre visite à un cybercafé : la connexion est si lente qu’il a fallu une demi-heure pour ouvrir une boite au lettre électronique! Mais impossible de lire les mails. La connexion a quelque chose à voir avec nos anciens modems 14400 bots, mais les sites internet modernes, plein d’application, de pop up, d’images, mettent la machine à la peine. Le sablier tourne, les insectes courent sur les murs, les vieux écrans cathodiques éclairent nos visages incrédules
Il manque encore quelques planches et garde-corps, mais déjà nous passons entre les ouvriers et nous traversons, non sans avoir observé au passage que la piscine des thermes est en cours de remplissage. Nous avons marché dix kilomètres, ce n’est pas énorme, mais sous une chaleur assez semblable à celle du sud de la France en plein été, lourde et capiteuse, et qui étourdit.
Nous avons bien mérité ce soir un apéro à base de brochettes de zébu grillé et de bières, dans un bouiboui au bord de la route. Celle-ci est à peine éclairée par deux lampadaires et les néons de quelques boutiques qui la bordent, mais au moins peut-on se voir, grâce au barrage hydroélectrique que les japonais ont construit un peu en amont. Cette lumière inespérée va nous permettre aussi d’échanger quelques balles au babyfoot avec Mario et un gamin du village, pour 0,015centimes la partie. Les babys sont à l’africaine, un peu branlants, et nous suspectons les balles d’être en fait de simples billes de déodorant.
D’autre part nous passons un certain temps à essayer de nous connecter à notre monde européen, mais en vain, malgré notre visite à un cybercafé : la connexion est si lente qu’il a fallu une demi-heure pour ouvrir une boite au lettre électronique! Mais impossible de lire les mails. La connexion a quelque chose à voir avec nos anciens modems 14400 bots, mais les sites internet modernes, plein d’application, de pop up, d’images, mettent la machine à la peine. Le sablier tourne, les insectes courent sur les murs, les vieux écrans cathodiques éclairent nos visages incrédules