Lundi 30/03/15 Antsirabe - Fianarantsoa
C’est une journée de transit, environ 200km à couvrir, à priori pas la peine de stresser! Mario estime qu’un départ à 8h30 est sage ; ce pourrait paraître tôt, mais de toute façon il fait jour à 6h du matin, les oiseaux pépient et font un boucan d’enfer, et lorsqu’à 8h30 nous quittons l’hôtel, nous avons l’impression d’avoir fait une belle grasse matinée. Avant de partir, une dernière formalité : aller chercher les bagues que nous avons commandées à l’atelier de travail de la corne de zébu. Mais à notre arrivée elles ne sont pas prêtes, et si les cornes ont été choisies et débitées, en l’état nos bagues ressemblent plus à une vieille vertèbre desséchée qu’à ce que nous attendions. Il faut dire, nous explique l’artisan, que faire des bagues n’est pas chose aisée, particulièrement pour celle de Céline qui l'a commandée couleur ivoire et pour laquelle il a fallu sacrifier pas moins de six cornes de zébu. Il faut voir le matériau comme un oignon, et s’il n’est pas sain, pendant l’alésage, les cercles concentriques se désolidarisent et la bague se désintègre. Bref le bijoutier des bovins court d’une machine à l’autre, il alèse, il ponce, il polit, pour chaque machine il branche des fils nus dans une prise et risque sa vie, débranche, rebranche, change d’outil et finalement adapte une compression de toiles de jean qu’il salit de terre pour lustrer l’objet, et puis le réchauffe pour l’amollir, le repolit, le relustre, le reponce, essaie en vain de l’adapter à nos doigts. Il se dégage une affreuse odeur de cochon grillé. Finalement, une demi heure plus tard, du fond de sa baraque en tôle où gisent des milliers de cornes déstructurées, il ressort avec ses bijoux polis et brillants, des petites pièces d’art qui nous enchantent! Nous le remercions chaleureusement, mais tout cela ne nous a pas mis en avance!
Nous prenons donc la route.
Deux cent kilomètres qui nous font traverser les hauts plateaux, montant jusqu’à 1700m pour redescendre ensuite, observant l’architecture s’adapter aux paysages, manifestant le remplacement d’une ethnie par une autre, c’est à dire les Merina par les Betsileo. Rien de flagrant, seulement dorénavant les femmes portent sur leur tête une petite calotte de paille colorée (ce qui leur sert peut être à mieux répartir les charges sur leur tête), et les hommes tiennent à la main un bâton, et sur l’épaule une couverture colorée. Avec ces deux attributs, ils s’adaptent à leur situation, à leur activité. C’est le soir, le froid s’insinue-t-il? Ils s’enroulent dans leur couverture. Ils ont un petit chargement à transporter? Ils le mettent en baluchon. Une grosse charge? Ils la mettent sur une épaule, le bâton sur l’autre et s’en servent de levier pour se soulager. Couverture remplie sur le dos, ils deviennent hommes de peine…
Ici bas, les voitures se font plutôt rares, et la route devient l’unique trait d’union de la ruralité malgache qui sans celle-là, se contenterait de vagues sentiers de zébus.. Ainsi donc la route est couverte de piétons qui vont dolents, poussant leurs bêtes ou étalant leur grain, s’échinant sur des charges dans des charrettes à bras ou sur des caisses de savon, fiers et très élégants, à l’abri du soleil sous un parapluie ou bien noirs et crasseux de ces activités de charbonnage qui font toute l’économie de la région en même temps qu’une catastrophe écologique à court terme. A tous les virages des sacs de charbon alignés, sur toutes les collines des fumeroles de la forêt qui s’amenuise inéluctablement. Parfois les collines s’enchainent et ne sont plus que prairie; plus un arbre, l’érosion emporte des pans entiers de pente douce, laissant de profondes cicatrices de terre rouge vif à nu.
Deux cent kilomètres qui nous font traverser les hauts plateaux, montant jusqu’à 1700m pour redescendre ensuite, observant l’architecture s’adapter aux paysages, manifestant le remplacement d’une ethnie par une autre, c’est à dire les Merina par les Betsileo. Rien de flagrant, seulement dorénavant les femmes portent sur leur tête une petite calotte de paille colorée (ce qui leur sert peut être à mieux répartir les charges sur leur tête), et les hommes tiennent à la main un bâton, et sur l’épaule une couverture colorée. Avec ces deux attributs, ils s’adaptent à leur situation, à leur activité. C’est le soir, le froid s’insinue-t-il? Ils s’enroulent dans leur couverture. Ils ont un petit chargement à transporter? Ils le mettent en baluchon. Une grosse charge? Ils la mettent sur une épaule, le bâton sur l’autre et s’en servent de levier pour se soulager. Couverture remplie sur le dos, ils deviennent hommes de peine…
Ici bas, les voitures se font plutôt rares, et la route devient l’unique trait d’union de la ruralité malgache qui sans celle-là, se contenterait de vagues sentiers de zébus.. Ainsi donc la route est couverte de piétons qui vont dolents, poussant leurs bêtes ou étalant leur grain, s’échinant sur des charges dans des charrettes à bras ou sur des caisses de savon, fiers et très élégants, à l’abri du soleil sous un parapluie ou bien noirs et crasseux de ces activités de charbonnage qui font toute l’économie de la région en même temps qu’une catastrophe écologique à court terme. A tous les virages des sacs de charbon alignés, sur toutes les collines des fumeroles de la forêt qui s’amenuise inéluctablement. Parfois les collines s’enchainent et ne sont plus que prairie; plus un arbre, l’érosion emporte des pans entiers de pente douce, laissant de profondes cicatrices de terre rouge vif à nu.
La campagne autour de nous est si vivante, si joyeusement laborieuse! Il faut dire que les enfants font une bonne part de la population, et prennent toute leur place dans l’activité économique! Comme les grands, ils participent à la moisson du riz, et s’ils ne battent pas les gerbes, on les voit s’occuper du séchage du grain devant les maisons. Quand les champs laissent du répit, il y a toujours moyen d’aller avec les femmes concasser des cailloux pour les futurs travaux de la route qui en a bien besoin. Sinon, comme les grands, ils s’arqueboutent sur des chariots pour convoyer des chargements d’un point A à un point B, via cette fameuse route qui irrigue le pays. Transporter, convoyer, c’est la grande affaire! A chaque classe sociale son véhicule : on commence avec le bâton et le baluchon bien sûr, ou le panier sur la tête, mais chaque foyer constitué a sa propre caisse à savon, plus ou moins savamment améliorée! Ressorts, pneus, roulements à billes sont l’apanage de rares bolides. Bolides car il n’est pas rare de les voir dévaler à vide et à toute allure les pentes défoncées de la RN7, sans que nous ayons jamais eu l’opportunité de savoir s’ils arrivaient en bas en un morceau ou pas. Ensuite, quand on s’est enrichi, on construit ou fait construire une charrette à bras. C’est qu’on peut transporter tellement plus sur une charrette à bras. Mais il faut de vraies pièces de bois, pas de vulgaires planchettes de rebus… Il faut de vraies roues avec des pneus, pas de quelconques assemblages patatoïdes. Ensuite, quand le paysan a prospéré, il peut mettre devant sa carriole des zébus. Une fois qu’on a plus de deux zébus, on devient riche, on a de quoi s’acheter une bicyclette, bientôt un scooter, et pourquoi pas un jour une voiture. Mais c’est plutôt l’apanage du gros commerçant, en ville. L’architecture des maisons procède de la même logique. On commence avec quatre murs et un toit à deux pans. On plante quelques bois dans la façade et on obtient son balcon. Bientôt on fait venir un briquetier dans le champ, il vous cuit des briques et on peut poser le balcon sur de fiers piliers, idéalement jumelés ; il ne reste plus qu’à couvrir la galerie d’une nouvelle couverture un peu en contrebas de la première, et la maison ressemble finalement à une maison coloniale anglaise. Enfin ça, c’est si c’est joliment, légèrement construit, avec de belles rambardes de bois ouvragé. Souvent les piliers sont épais, les garde corps confinent à la clairevoie, les bois des terrasses ploient et on se rapproche nettement de l’habitat paysan pyrénéen. Plus près des villes, les maisons s’élargissent, les toits évoluent avec l’apparition de croupes et de chiens assis, on se rapproche des villas françaises des années 30.
Toujours est-il que tout est systématiquement construit avec ce que la nature peut directement offrir: la terre donne les briques, les tuiles et l’enduit ; les plantes donnent la chaume, les menuiseries, les rambardes des balcons et la charpente. Pas un bout de métal, nulle part, si ce n’est peut être en ville, quelques riches qui exhibent un garde corps moche. Les maisons sont généralement ocre rouge, mais vers le sud certaines sont blanches. A ces latitudes, nous sommes moins en altitude, la végétation est moins riche, les rizières qui avaient laissé la place à des forêts n’ont finalement laissé la place à rien puisque les forêts ont été rasées, et les activités au bord de route consistent en la distillation de géraniums pour en tirer les huiles essentielles. On pourrait disserter pendant des heures sur ce que les détails glanés en bord de route peuvent apprendre de la culture du pays, et sur l’apparente faible densité de population toujours infirmée par l’assaut de cohortes d’enfants lorsque pourtant nous arrêtons notre voiture précisément au milieu de nulle part pour mieux profiter du paysage ou pallier à l’absence de toilettes dans ce pays.
Toujours est-il que tout est systématiquement construit avec ce que la nature peut directement offrir: la terre donne les briques, les tuiles et l’enduit ; les plantes donnent la chaume, les menuiseries, les rambardes des balcons et la charpente. Pas un bout de métal, nulle part, si ce n’est peut être en ville, quelques riches qui exhibent un garde corps moche. Les maisons sont généralement ocre rouge, mais vers le sud certaines sont blanches. A ces latitudes, nous sommes moins en altitude, la végétation est moins riche, les rizières qui avaient laissé la place à des forêts n’ont finalement laissé la place à rien puisque les forêts ont été rasées, et les activités au bord de route consistent en la distillation de géraniums pour en tirer les huiles essentielles. On pourrait disserter pendant des heures sur ce que les détails glanés en bord de route peuvent apprendre de la culture du pays, et sur l’apparente faible densité de population toujours infirmée par l’assaut de cohortes d’enfants lorsque pourtant nous arrêtons notre voiture précisément au milieu de nulle part pour mieux profiter du paysage ou pallier à l’absence de toilettes dans ce pays.
Mais à 17h les collines succèdent toujours aux collines, les hameaux aux hameaux, les charrettes aux piétons, les épibars aux murs de bois branlants aux commerces de quat’saisons plus ou moins écroulés au bord du chemin, et notre attention s’émousse ; la route devient plus que cahoteuse, nous sommes propulsés de droite et de gauche sous les coups de butoirs des cratères qui la cicatrisent, nous ne dépassons guère les 20km/h et le soleil décline. Or à partir de 18h, les routes sont réputées fermées à la circulation ; dans la voiture l’atmosphère s’alourdit.
Alors que nous venons de passer un col qui libère l’espace devant nous sur une multitude de vallées verdoyantes, le flamboiement du soleil couchant dans notre dos nous accompagne, comme si en franchissant le pas, nous avions libéré ce rougeoiement, qui vient embraser le relief en face de nous. Parallèlement, des théories de nuages gigantesques comme des dreadnoughts se séparent, jouant une sortie de puzzle 3D à travers lequel le ciel apparait dans toutes ses nuances de bleu. Les nuages eux revêtent toutes les nuances de gris, du blanc diaphane au noir pétrole.
Tout l’horizon de bas en haut n’est que nuances, vibrations de couleurs et d’énergies, et on se sent au milieu d’un maelström de force qui nous dépasse. D’ailleurs nous avons coupé le moteur et sommes sortis du véhicule pour nous plonger dans l’énergie brute, qui ne tarde pas à nous remettre à notre place naturelle : l’orage éclate, des gouttes grosses comme des œufs de caille dévalent des nuées et s’écrasent sur nous comme une volée d’ajoncs ; nous courons à la voiture.
Alors que nous venons de passer un col qui libère l’espace devant nous sur une multitude de vallées verdoyantes, le flamboiement du soleil couchant dans notre dos nous accompagne, comme si en franchissant le pas, nous avions libéré ce rougeoiement, qui vient embraser le relief en face de nous. Parallèlement, des théories de nuages gigantesques comme des dreadnoughts se séparent, jouant une sortie de puzzle 3D à travers lequel le ciel apparait dans toutes ses nuances de bleu. Les nuages eux revêtent toutes les nuances de gris, du blanc diaphane au noir pétrole.
Tout l’horizon de bas en haut n’est que nuances, vibrations de couleurs et d’énergies, et on se sent au milieu d’un maelström de force qui nous dépasse. D’ailleurs nous avons coupé le moteur et sommes sortis du véhicule pour nous plonger dans l’énergie brute, qui ne tarde pas à nous remettre à notre place naturelle : l’orage éclate, des gouttes grosses comme des œufs de caille dévalent des nuées et s’écrasent sur nous comme une volée d’ajoncs ; nous courons à la voiture.
Dès lors, l’air devient glauque, les couleurs ternissent rapidement jusqu’à disparaître ; le relief s’estompe et lorsqu’enfin il fait complètement nuit, aucune lumière ne vient rappeler ses lignes. Tout est noir, nulle trace de vie n’est perceptible. Peut être au loin deux phares mouvants qui doivent être ceux de scooters esseulés. Le long de la route, des portes entrouvertes laissent entrevoir les flammèches de feux de cuisines installés sur la terre crue.
Nous sommes maintenant complètement seuls sur la route, enfin tant qu’un vélo n’apparaît pas en sens inverse, coincé comme un lapin dans le faisceau de nos phares, sitôt apparu, sitôt disparu, et aucun signal dans la nuit pour confirmer ou infirmer cette apparition. De même les piétons ne sont que des silhouettes, des spectres qui se jettent dans les bas côtés, non que roulions comme des dératés puisque nous ne dépassons jamais le 60km/h, mais les gens sont prudents.
Nous arrivons finalement à notre hôtel à la nuit noire, quelque part du côté de Fianarantsoa, au bord d’un lac dont nous ne percevons que le clapotis sous les pilotis de notre chambre. Mario notre guide, avant de nous laisser, évoque la présence de crocodiles.
Nous sommes maintenant complètement seuls sur la route, enfin tant qu’un vélo n’apparaît pas en sens inverse, coincé comme un lapin dans le faisceau de nos phares, sitôt apparu, sitôt disparu, et aucun signal dans la nuit pour confirmer ou infirmer cette apparition. De même les piétons ne sont que des silhouettes, des spectres qui se jettent dans les bas côtés, non que roulions comme des dératés puisque nous ne dépassons jamais le 60km/h, mais les gens sont prudents.
Nous arrivons finalement à notre hôtel à la nuit noire, quelque part du côté de Fianarantsoa, au bord d’un lac dont nous ne percevons que le clapotis sous les pilotis de notre chambre. Mario notre guide, avant de nous laisser, évoque la présence de crocodiles.