Dimanche 05/04/2015 Massif de l'Andringitra depuis Camp Catta
Nous nous réveillons sur les marches du monde, peut être dans le berceau de l’humanité. A 6h50 le soleil apparaît, glorieux, couronnant très exactement le pic Dondy qui domine la chaine de montagnes à l’est de la vallée. Mais les rayons balaient depuis un certain temps déjà le côté opposé, rosissant les parois vertigineuses du Tsaranoro, les rendant chaudement paternelles, tandis que les flancs arborés du caméléon se contrastent intensément entre zones d’ombre et de blancheur laiteuse. Les rayons qui brossent les flancs des reliefs révèlent chaque relief un par un, même les arbustes lointains sont comme révélés, mis à jour spécialement dans une clarté aveuglante.
Ce qui est désolant avec le lever du soleil, c’est que c’est toujours trop rapide! En m’abîmant dans la contemplation de sa gloire, j’ai tout à fait oublié de la photographier! Je suis obligé de dévaler le promontoire sur lequel je m’étais juché, de sauter par dessus la multitude de petits canaux que les paysans font passer partout, de rebondir sur les pierres rondes et granitiques qui surnagent des herbes hautes, de voler par dessus les buissons, toujours plus vite au risque de me rompre les os, jusqu’à enfin voir le soleil redisparaître, un peu comme si au prix d’un effort intense, j’avais réussi à tordre le fil du temps, à repousser l’ordre naturel des choses.
L’ordre des choses, c’est un peu ce que nous sommes venus observer à Madagascar. Rarement au cours d’un voyage nous n’avons ressenti un tel décalage par rapport à notre environnement. Nous avons déjà vu de belles choses, des paysages grandioses, des cultures différentes. Or à Mada la culture n’est pas si différente de la nôtre, ce qui s’illustre peut être par le fait que lorsque les musulmans et les chrétiens ont débarqué, ils ont trouvé un peuple monothéiste qui a intégré leur religion sans problème. Mais ici, contrairement à tous les pays que nous avons déjà visités, la société de consommation n’est pas encore arrivée. On en a entendu parler, pour sûr, on peut en croiser certaines manifestations à la ville, mais de toute façon tout le monde est trop pauvre pour ne serait-ce qu’imaginer y avoir accès. On est en dehors des réseaux du commerce et personne ici ne peut se payer les sacs de chips qui ailleurs sont les premiers ambassadeurs du capitalisme et de la modification des corps et des comportements. Ainsi donc, tout ce qu’on a, on l’obtient de la nature. Aujourd’hui toute la journée nous croiserons toutes sortes de plantes médicinales, de celles qui soignent les fièvres, ou les brûlures, ou les problèmes de transit, des excitants, des calmants, des pour le foie, des pour les brûlures, des contre la chute de cheveux bien entendu. Alors c’est vrai que les malgaches semblent avoir peu de problèmes capillaires, mais est-ce uniquement grâce à l’Aloe? Au delà de la médecine traditionnelle dont on peut apprendre beaucoup en observant les habitudes alimentaires des lémuriens, les plantes offrent aussi tous les produits de consommation courant : le papier comme on l’a vu hier, mais la colle aussi en coupant ces petites feuilles dont sort un liquide blanchâtre, de l’explosif dans ces bâtons façon réglisse qui contiennent de la glycérine et que l’on utilise pour arracher des blocs de pierre à la montagne en y mettant le feu, les paniers bien sûr avec toutes sortes de fibres végétales, les gourdes en bambou, les feuilles lime, les fouets avec d’autres fibres. Bref tous les objets d’une civilisation sont tirés des végétaux qui poussent aux alentours de la dite civilisation, à l’exclusion de quelques outils en acier que l’on trouve dans les mains des hommes sous forme de serpe, de bêche, ou de hache.
Je suis incapable de vous citer le nom de toutes les plantes que nous avons croisées, mais presque toutes avaient un usage. Et si elles n’en n’avaient pas, leur beauté ou leur complexité nous plongeaient dans des abîmes de contemplation cosmique. Je ne parlerai pas des milliers d’espèces d’orchidées qui recouvrent la terre de Madagascar, car ce n’était pas la saison. Pourtant en descendant du pic caméléon, nous avons eu la chance de tomber sur un petit jardin naturel où des orchidées en fleurs à petites guirlandes blanches répondaient à un parterre d’oreilles d’éléphants. Autour, des buissons de pieds d’éléphants (pachypodiums) protégeaient le jardinet des regards et des appétits tandis que des buissons d’euphorbe, les épines du Christ, agrémentaient cette vision d’harmonie d’un pétillement d’étincelles rouges. Non, je ne parlerai pas des orchidées et je préfère parler de ces herbes sauvages de jachères, ondoyant sous la brise, et dans lesquelles nous avons progressé durant la majeure partie de notre randonnée. Si le bas de la vallée était dévolu aux cultures ,les contreforts et les hauts plateaux sont colonisés par ces herbes souples dont les risées font des lumières changeantes tout au long du panorama et n’ont d’autre vocation qu’à nourrir nos yeux et les zébus. Ces plantes ont à leur pointe un faisceau de fibres noires qui, si on les prélève une à une, qu’on les maintient entre les doigts et qu’on les humidifie, se mettent à tourner régulièrement, aussi implacablement qu’un pendule de Foucauld, peu ou prou au même rythme que la trotteuse de ma montre. N’est-ce pas une expérience mystique?
L’ordre des choses, c’est un peu ce que nous sommes venus observer à Madagascar. Rarement au cours d’un voyage nous n’avons ressenti un tel décalage par rapport à notre environnement. Nous avons déjà vu de belles choses, des paysages grandioses, des cultures différentes. Or à Mada la culture n’est pas si différente de la nôtre, ce qui s’illustre peut être par le fait que lorsque les musulmans et les chrétiens ont débarqué, ils ont trouvé un peuple monothéiste qui a intégré leur religion sans problème. Mais ici, contrairement à tous les pays que nous avons déjà visités, la société de consommation n’est pas encore arrivée. On en a entendu parler, pour sûr, on peut en croiser certaines manifestations à la ville, mais de toute façon tout le monde est trop pauvre pour ne serait-ce qu’imaginer y avoir accès. On est en dehors des réseaux du commerce et personne ici ne peut se payer les sacs de chips qui ailleurs sont les premiers ambassadeurs du capitalisme et de la modification des corps et des comportements. Ainsi donc, tout ce qu’on a, on l’obtient de la nature. Aujourd’hui toute la journée nous croiserons toutes sortes de plantes médicinales, de celles qui soignent les fièvres, ou les brûlures, ou les problèmes de transit, des excitants, des calmants, des pour le foie, des pour les brûlures, des contre la chute de cheveux bien entendu. Alors c’est vrai que les malgaches semblent avoir peu de problèmes capillaires, mais est-ce uniquement grâce à l’Aloe? Au delà de la médecine traditionnelle dont on peut apprendre beaucoup en observant les habitudes alimentaires des lémuriens, les plantes offrent aussi tous les produits de consommation courant : le papier comme on l’a vu hier, mais la colle aussi en coupant ces petites feuilles dont sort un liquide blanchâtre, de l’explosif dans ces bâtons façon réglisse qui contiennent de la glycérine et que l’on utilise pour arracher des blocs de pierre à la montagne en y mettant le feu, les paniers bien sûr avec toutes sortes de fibres végétales, les gourdes en bambou, les feuilles lime, les fouets avec d’autres fibres. Bref tous les objets d’une civilisation sont tirés des végétaux qui poussent aux alentours de la dite civilisation, à l’exclusion de quelques outils en acier que l’on trouve dans les mains des hommes sous forme de serpe, de bêche, ou de hache.
Je suis incapable de vous citer le nom de toutes les plantes que nous avons croisées, mais presque toutes avaient un usage. Et si elles n’en n’avaient pas, leur beauté ou leur complexité nous plongeaient dans des abîmes de contemplation cosmique. Je ne parlerai pas des milliers d’espèces d’orchidées qui recouvrent la terre de Madagascar, car ce n’était pas la saison. Pourtant en descendant du pic caméléon, nous avons eu la chance de tomber sur un petit jardin naturel où des orchidées en fleurs à petites guirlandes blanches répondaient à un parterre d’oreilles d’éléphants. Autour, des buissons de pieds d’éléphants (pachypodiums) protégeaient le jardinet des regards et des appétits tandis que des buissons d’euphorbe, les épines du Christ, agrémentaient cette vision d’harmonie d’un pétillement d’étincelles rouges. Non, je ne parlerai pas des orchidées et je préfère parler de ces herbes sauvages de jachères, ondoyant sous la brise, et dans lesquelles nous avons progressé durant la majeure partie de notre randonnée. Si le bas de la vallée était dévolu aux cultures ,les contreforts et les hauts plateaux sont colonisés par ces herbes souples dont les risées font des lumières changeantes tout au long du panorama et n’ont d’autre vocation qu’à nourrir nos yeux et les zébus. Ces plantes ont à leur pointe un faisceau de fibres noires qui, si on les prélève une à une, qu’on les maintient entre les doigts et qu’on les humidifie, se mettent à tourner régulièrement, aussi implacablement qu’un pendule de Foucauld, peu ou prou au même rythme que la trotteuse de ma montre. N’est-ce pas une expérience mystique?
Mystique car alors que nous venons de découvrir ce phénomène tout en déjeunant, appréhendant par la même notre futilité et notre incompréhension face aux cycles naturels et cosmiques, nous relevons la tête, frappés d’entendre des rires monter tout autour de nous, quoi que lointains. Pourtant nous sommes en pleine montagne. Bien sûr en bas dans la vallée on voit les villages, beaucoup plus nombreux que ce que l’on aurait pu imaginer depuis le plancher des vaches, reliés entre eux par des sentes rouges. D’ici ils sont lilliputiens et nous ne notons aucune activité particulière. Pourtant tous ces chants, parfois même des vibrations de tambours!
L’explication nous vient un peu plus tard : c’est Pâques et ces rires que nous entendons, ce sont des cris d’allégresse! Ainsi qu’il l’est écrit dans les cantiques, le peuple de Dieu tressaille littéralement de joie! Il faut croire que les églises sont pleines à craquer…
Nous continuons notre pérégrination et nous hissons au sommet du caméléon, et profitons de l’horizon qui s’élargit, observant les vallées déboucher dans les vallées, les sommets métamorphiques s’appuyer sur d’autres colosses granitiques dont l’observation est aussi stimulante pour l’imagination que celle des nuages. Il y a d’ailleurs beaucoup plus de sommets à observer que de nuages!
L’explication nous vient un peu plus tard : c’est Pâques et ces rires que nous entendons, ce sont des cris d’allégresse! Ainsi qu’il l’est écrit dans les cantiques, le peuple de Dieu tressaille littéralement de joie! Il faut croire que les églises sont pleines à craquer…
Nous continuons notre pérégrination et nous hissons au sommet du caméléon, et profitons de l’horizon qui s’élargit, observant les vallées déboucher dans les vallées, les sommets métamorphiques s’appuyer sur d’autres colosses granitiques dont l’observation est aussi stimulante pour l’imagination que celle des nuages. Il y a d’ailleurs beaucoup plus de sommets à observer que de nuages!
Six cent mètres de dénivelé positif, et nous sommes au sommet à 11h15. Il va nous falloir rallonger la balade d’un chouïa. Aussi, dès que nous avons retrouvé le fond de la vallée, nous en entreprenons la traversée, rizière après rizière, rivière après rivière, ce qui nous oblige parfois à nous déchausser, de gré ou de force, surtout lorsqu'un pied glisse et se retrouve sous 20cm de boue. A l’issue de cette odyssée spongieuse, nous aboutissons au pied d’une cascade à propos de laquelle, comme à son habitude, Mario nous a mis en garde contre les crocodiles. Il avait eu beaucoup de succès la première fois, au lac Hôtel, la nuit avant de prendre le train, en nous annonçant que des crocodiles habitaient le lac. Et la nuit, dans notre bungalow sur pilotis accessible de la terre ferme par un simple ponton de bois, nous avions entendu un pas lourd et trainant, ce qui nous avait causé un profond émoi! Au matin la réception proposait comme souvenirs des portefeuilles en croco. Nous l’avions échappé belle! Fadaises, il n’y avait pas de crocodiles dans le lac, pas plus qu’il n’y en aurait les fois suivantes, dans des rivières pourtant bien propices!
Quel plaisir de se baigner dans la large vasque de la cascade, sous la haute stature des falaises cyclopéennes ; la chaleur est harassante et toutes les parties de notre corps exposées au rayon du soleil sont rouges écrevisses. L’eau les apaise, elle est ni trop chaude, ni trop froide, juste rafraichissante, mais sans pour autant qu’il ait été difficile de rentrer dedans. Sur un bloc, un papi au regard inerte pêche avec sa canne en bambou.
Quel plaisir de se baigner dans la large vasque de la cascade, sous la haute stature des falaises cyclopéennes ; la chaleur est harassante et toutes les parties de notre corps exposées au rayon du soleil sont rouges écrevisses. L’eau les apaise, elle est ni trop chaude, ni trop froide, juste rafraichissante, mais sans pour autant qu’il ait été difficile de rentrer dedans. Sur un bloc, un papi au regard inerte pêche avec sa canne en bambou.
Bien rafraîchis, nous nous en retournons au Lodge dont la situation et le luxe suranné ne sont pas sans rappeler le Zebra River Lodge en Namibie, placé dans le même alignement face à la croix du sud. A propos de notre hébergement, un mot sur les clients : on trouve un couple de français arrivé là sous la conduite d’un chauffeur qui s’est trompé de vallée et qui du coup se retrouve à trois journées de marche du point de départ de leur trek ; nous avons aussi un groupe de trois iraniens qui a passé les quatre derniers jours à tenter l’ascension de l’immense pain de sucre derrière notre bungalow. Ils ont dormi à même la paroi, dans des tentes suspendues et hier soir nous voyions le ballet de leurs lampes de poche sur les aplombs obscurs. Encore un groupe de français du milieu médical qui demain partira avec un chargement d’ustensiles médicaux pour un dispensaire à sept jours de marche d’ici. Pour l’instant ils éclusent le stock de rhum arrangé du restaurant. Et puis une jolie famille bien comme il faut, papa, maman et quatre enfants, pas de chauffeur, pas de guide, ils parlent indifféremment l’anglais et le français ; un français seul avec deux malgaches complètement occidentalisés ; et puis nous. Tout ce petit monde vit dans des mondes complètement distincts, réunis là par les quatre heures d’électricité quotidienne disponibles autour du bar. Insuffisant pour écrire ce texte que je finis à la lueur d’une bougie, dans notre chambre.