Vendredi 27 mai 2016.
Dieu que les oiseaux piaillent fort! De 4h45 à 5h15, c’est le carnaval des animaux! Impossible de dormir. Et il fait bien jour. Et oui, au cas où nous ne nous en doutions pas, la yourte c’est fait pour vivre au rythme de la nature. Heureusement je finis par me rendormir malgré une vicieuse piqure au pouce. Mais à 7h le restaurant de l’hôtel prépare les tables de petit déjeuner, et la musique insipide peut recommencer! Ce qui pour le coup met un point final à notre nuit et nous laisse le loisir d’étudier le plafond et ses lanières de laine. Quoi que décoratives, elles servent aussi à contreventer les dizaines de baleines rouges qui constituent l’armature de la tente. Des pompons pendent partout, les noms et dates de naissance ce celles qui j’imagine, ont tricoté toutes les tentures, font partie intégrante du décor.
Finalement nous nous levons et déjeunons sur une table à deux mètres de notre yourte. Ce matin au menu de la Kacha, c’est à dire de la semoule au lait brûlante. Bonne idée, car c’est bon, bouilli, et ça colle au corps. On ne peut pas tomber malade avec ça, c’est la garantie d’une journée sans aléas et contingences. Nous pouvons démarrer et filons au musée Savitsky, non sans avoir tenté une nouvelle fois de négocie avec le staff de l’hôtel une dépose à la mer d’Aral pour pas cher. Peine perdue, ils restent sur 50$.
Le musée Savitsky. C’est énOrme! 1500m² de toiles les unes contre les autres! Et nous savons que que ce n’est qu’une toute petite partie du fond, alors qu’il y en a déjà trop pour les yeux! Quelques peintures récentes pas mal du tout et qui montrent que dans ces coins reculés, les gens aussi se soucient de peinture et d’art. Une partie archéologique aussi qui nous permet d’observer des artefacts sortis des forteresses vues la veille. Beaucoup d’urnes funéraires, certaines anthropomorphes… Et puis l’étage…
En fait, Igor Savitsky n’tait pas un paria de l’URSS, un oublié du politbüro, c’était plutôt un véritable libre penseur, un archéologue esthète qui a voué sa vie au Karakapalkastan, à sa lumière unique, à ses mœurs et à son histoire. Arrivé pour l’archéologie, il est resté pour la culture, a fondé son musée, peint, écrit et rassemblé autour de lui des artistes. Tout ça dans l’URSS rétrograde d’hier. Preuve que comme dans toutes les institutions lourdes, malgré le poids du mammouth, avec de l’énergie et de la passion, on peut lancer des initiatives qui transcendent les barrières rhétoriques.
Le musée Savitsky. C’est énOrme! 1500m² de toiles les unes contre les autres! Et nous savons que que ce n’est qu’une toute petite partie du fond, alors qu’il y en a déjà trop pour les yeux! Quelques peintures récentes pas mal du tout et qui montrent que dans ces coins reculés, les gens aussi se soucient de peinture et d’art. Une partie archéologique aussi qui nous permet d’observer des artefacts sortis des forteresses vues la veille. Beaucoup d’urnes funéraires, certaines anthropomorphes… Et puis l’étage…
En fait, Igor Savitsky n’tait pas un paria de l’URSS, un oublié du politbüro, c’était plutôt un véritable libre penseur, un archéologue esthète qui a voué sa vie au Karakapalkastan, à sa lumière unique, à ses mœurs et à son histoire. Arrivé pour l’archéologie, il est resté pour la culture, a fondé son musée, peint, écrit et rassemblé autour de lui des artistes. Tout ça dans l’URSS rétrograde d’hier. Preuve que comme dans toutes les institutions lourdes, malgré le poids du mammouth, avec de l’énergie et de la passion, on peut lancer des initiatives qui transcendent les barrières rhétoriques.
Parmi toutes ces peintures, on rit à voir des sujets typiquement soviétiques, prosélytistes, traités à a façon de Gauguin! On s’émeut de l’humanité d’un forgeron à son ouvrage, traité dans sa forge obscure à la façon de Rembrandt. On s’interroge sur des chantiers de construction destructurés, on s’émerveille aux détails romantiques de l’Amou Daria d’où surnagent incongrus, cheminées et grues, éléments vraisemblablement imposés par la censure soviétique. En chaque toile, une sensibilité géniale, de la fièvre dans les regards ou le paysage. La plupart du temps on retrouve l’exotisme, comme si les moscovites étaient venus au Karakapalkstan comme nos romantiques étaient allés en Polynésie. La même recherche dans les couleurs, dans la vibration de la lumière et de la chaleur. Dans tous les visages la même noblesse, sauf dans une toile très spéciale traitant du capitalisme. Mais l’artiste auteur de ce pamphlet, quoi qu’ayant atteint le but recherché dans la critique de l’ennemi social, n’avait pas toujours été tendre non plus avec le système communiste et a fini décoré des palmes d’artiste dégénéré, exilé en Sibérie.
Au milieu de toutes ces peinture, il est amusant de trouver un portait romantique de Chevchenko, le Victor Hugo ukrainien, jeune et en habits de marin de la flotte russe, posément affalé au pied d’un petit feu de camp, au soleil tout juste couché, sur les hauteurs de la mer d’Aral endormie. Sur les rives on discerne un camp de yourtes. Un musicien accompagne Chevchenko, c’est un berger karapalak, il joue d’une sorte de mandoline. Quelle scène exquise et exotique! Comme un cliché d’une époque idéalisée et révolue…
Alors qu’il faudrait au moins trois heures pour bien s’inspirer de l’ambiance, il nous faut déjà partir, car le temps presse si nous voulons réussir à rejoindre la mer d’Aral. Un regard intrigué pour ces saints, ces rois et ces reines de marbre et de granit, exposées dans un coin et tirées des cathédrales françaises de Chartres et d’Amiens, et une pensée indulgente pour les cosaques qui ont du se farcir ces blocs de pierres à travers les terres d’Europe et les steppes d’Asie au retour des guerres napoléoniennes.
C’est le plongeon dans le bain de l’inconnu, nous errons dans les rues à la recherche d’un quidam qui pourrait nous amener à la mer d’Aral. Le premier choix est le bon. Nous interpellons un jeune gars dans un taxi jaune ; il ne comprend rien, comme de bien entendu, mais il hèle un vieux gaillard qui d’une part, parle le russe, et d’autre part, semble être à la tête d’une brigade de chauffeurs de véhicules. Commencent donc les négociations. Toujours très chaleureuses et souriantes ces négociations. Nous tombons d’accord sur 230000 sums, soit environ 33$. Le temps de se serrer la main et nous sommes déjà partis.
Le chauffeur, un jeune homme d’une vingtaine d’années, parle russe comme parlerait anglais un français qui ne parle pas un mot d’anglais. C'est-à-dire qu’il connait certains mots courants qui sont ceux que l’on entend tous les jours dans les médias d’Asie centrale, mais c’est tout. De notre côté nous apprenons à ses côtés le langage des pilotes ouzbeques, qui se font d’une voie sur l’autre des petits signes depuis le volant, pouce dressé “vas-y fonce”, petit signe de négation, “attention radar”! Ce qui fait que nous avançons à 120km/h à travers la plaine verte, irriguée de canaux, et hérissés de loin en loin de poteaux électriques en béton. Quelques haies d’arbres abritent dans leur ombre une âme paresseuse ou quelques vaches. Les hameaux sont constitués d’isbas aux toits de tôle devant lesquelles trônent de blancs tandoors (fours à pain en terre dont la bouche est sur le dessus) et parfois un Iwan ; sous ces préaux sont installés les fameux lits nationaux où viendra, lorsque le soleil aura cessé de ravager la terre de ces rayons harassants, se retrouver la communauté du village pour siroter le thé du soir.
Il nous faut trois heures à ce rythme pour rallier Munyaq, dont l’entrée de ville est symbolisée par un panneau figurant un poisson et une mouette. Mais de poissons et de mouettes, point. La ville est un amas de bicoques squelettiques et blanches autour desquelles agonisent quelques bas immeubles de briques décrépis. Les passants sont rares, trois au moins sont complètements saouls et marinent sous le soleil implacable de midi. Peu de véhicules si ce ne sont quelques ladas décaties. Au bout de la rue on tourne à droite, au niveau du cinéma qui n’a pas du voir une projection depuis le début des années 80, pour rallier l’ancienne promenade de bord de mer où le monument aux morts de la grande guerre patriotique défiait les flots ombrageux. Bien sûr aujourd’hui plus de flots, mais un horizon de sable et d’herbes ressemblant à de la salicorne. Et entre les touffes de salicorne, les carcasses noires de bateaux, grillées par le soleil et les vents de sable. La proue tournée vers l’horizon, c’est une petite flottille qui semble défier le désert ; les poutrelles d’aciers contre les vents venus de Sibérie et chargés du sel, on dirait que ces petits caboteurs n’ont pas baissé pavillon et semblent défier le temps et l’espace, jusqu’à ce que la mer se décide à revenir.
Alors qu’il faudrait au moins trois heures pour bien s’inspirer de l’ambiance, il nous faut déjà partir, car le temps presse si nous voulons réussir à rejoindre la mer d’Aral. Un regard intrigué pour ces saints, ces rois et ces reines de marbre et de granit, exposées dans un coin et tirées des cathédrales françaises de Chartres et d’Amiens, et une pensée indulgente pour les cosaques qui ont du se farcir ces blocs de pierres à travers les terres d’Europe et les steppes d’Asie au retour des guerres napoléoniennes.
C’est le plongeon dans le bain de l’inconnu, nous errons dans les rues à la recherche d’un quidam qui pourrait nous amener à la mer d’Aral. Le premier choix est le bon. Nous interpellons un jeune gars dans un taxi jaune ; il ne comprend rien, comme de bien entendu, mais il hèle un vieux gaillard qui d’une part, parle le russe, et d’autre part, semble être à la tête d’une brigade de chauffeurs de véhicules. Commencent donc les négociations. Toujours très chaleureuses et souriantes ces négociations. Nous tombons d’accord sur 230000 sums, soit environ 33$. Le temps de se serrer la main et nous sommes déjà partis.
Le chauffeur, un jeune homme d’une vingtaine d’années, parle russe comme parlerait anglais un français qui ne parle pas un mot d’anglais. C'est-à-dire qu’il connait certains mots courants qui sont ceux que l’on entend tous les jours dans les médias d’Asie centrale, mais c’est tout. De notre côté nous apprenons à ses côtés le langage des pilotes ouzbeques, qui se font d’une voie sur l’autre des petits signes depuis le volant, pouce dressé “vas-y fonce”, petit signe de négation, “attention radar”! Ce qui fait que nous avançons à 120km/h à travers la plaine verte, irriguée de canaux, et hérissés de loin en loin de poteaux électriques en béton. Quelques haies d’arbres abritent dans leur ombre une âme paresseuse ou quelques vaches. Les hameaux sont constitués d’isbas aux toits de tôle devant lesquelles trônent de blancs tandoors (fours à pain en terre dont la bouche est sur le dessus) et parfois un Iwan ; sous ces préaux sont installés les fameux lits nationaux où viendra, lorsque le soleil aura cessé de ravager la terre de ces rayons harassants, se retrouver la communauté du village pour siroter le thé du soir.
Il nous faut trois heures à ce rythme pour rallier Munyaq, dont l’entrée de ville est symbolisée par un panneau figurant un poisson et une mouette. Mais de poissons et de mouettes, point. La ville est un amas de bicoques squelettiques et blanches autour desquelles agonisent quelques bas immeubles de briques décrépis. Les passants sont rares, trois au moins sont complètements saouls et marinent sous le soleil implacable de midi. Peu de véhicules si ce ne sont quelques ladas décaties. Au bout de la rue on tourne à droite, au niveau du cinéma qui n’a pas du voir une projection depuis le début des années 80, pour rallier l’ancienne promenade de bord de mer où le monument aux morts de la grande guerre patriotique défiait les flots ombrageux. Bien sûr aujourd’hui plus de flots, mais un horizon de sable et d’herbes ressemblant à de la salicorne. Et entre les touffes de salicorne, les carcasses noires de bateaux, grillées par le soleil et les vents de sable. La proue tournée vers l’horizon, c’est une petite flottille qui semble défier le désert ; les poutrelles d’aciers contre les vents venus de Sibérie et chargés du sel, on dirait que ces petits caboteurs n’ont pas baissé pavillon et semblent défier le temps et l’espace, jusqu’à ce que la mer se décide à revenir.
Mais en fait tout ceci n’est que simulacre. Dix ans auparavant, les bateaux étaient perdus épars dans les dunes, et il fallait marcher longtemps pour en trouver un. Ils ont été déplacés l’année dernière à l’aide de camions grue. D’autre part le monument aux morts a été repeint en blanc et des panneaux pédagogiques illustrent le déclin de la mer, qui de cinquième mer intérieure du globe, est passée au rang de triple lac dont l’un est condamné. Le centre ville est en cours de travaux, la voirie va être refaite. L’entrée de la ville est entourée de marais où volent les hérons et paissent vaches et chevaux. Une digue a été édifiée aux abords de la ville, et une étendue d’eau scintille à l’est jusqu’à perte de vue. De même au Kazakhstan avec l’aide de l’ONU et de la banque mondiale, un barrage a été construit qui retient les flots de la Sir Darya dans la partie nord de la mer. La pêche a pu reprendre. Ainsi donc la catastrophe est consommée, mais la vie reprend sur de nouvelles bases, la conscience collective a été aiguillonnée et peut être qu’un jour qui sait, la mer d’Aral revivra! Mais pour l’instant les ouzbeks ne sont pas dans la culture de l’économie. Le pays est recouvert de canaux, la végétation est luxuriante partout, là où l’homme passe l’eau glougloute et les lieux de promenade et de rendez-vous sont des jardins et des fontaines. D’ailleurs ce soir à notre retour, nous croisons en ville un groupe de filles de Tashkent qui ne connaissent pas la ville. Elles danseront demain au théâtre de Nukus, mais pour l’heure elles recherchent un parc! Mais le parc à Nukus, comme un peu tout le reste, est complètement neuf, il vient tout juste d’être planté et les arbres ne mesurent pas plus d’un mètre. Les fontaines en revanche, interprètent des chorégraphies colorées que la population, à la nuit tombée, vient admirer, ébaubie, en consommant glaces et barbes à papa.
D’ailleurs, autant il est facile de trouver à manger une glace, autant de premier abord, il est dur de trouver un endroit où dîner. Mais bon, c’est surtout que nous ne connaissons pas la culture locale. Les restaurants sont historiquement perçus je pense, comme des lieux de perdition, où l’on consomme de l’alcool. Les femmes y sont rares et les salles sont systématiquement cachées derrières des corridors obscurs et peu avantageux. C’est que tout se passe en arrière cour, il ne faut pas avoir peur de plonger dans ces couloirs intimidants. Au fond on débouche généralement sur une cour entourée de salons privés, les hommes seuls avec vodka et bière monopolisent la cour, les couples avec bière et vodka investissent les salons. Il faut croire que les gens qui ne boivent pas mangent chez eux.