Jeudi 26 mai
La journée s’annonce bien. Surtout pour un ouzbek, car le temps est nuageux, ce qui signifie que la température restera acceptable. Et effectivement, dès les premières minutes, il apparaît que tout ce qui paraissait compliqué la veille, semble désormais facile, voire amical : hier tout le monde voulait nous faire payer, des vieux communistes aux jeunes capitalistes ; il avait fallu négocier le taxi depuis l’aéroport, il avait fallu quitter un premier hôtel qui nous avait pris pour des américains, il avait fallu faire mine de quitter un second hôtel tenu par deux jeunes entrepreneurs qui gèrent le touriste comme le maquignon gère la charolaise, et finalement il avait fallu acheter un billet général de Khiva à un groupe de six harpies post soviétiques affalées dans un réduit obscure, occupées à attendre que la cheftaine dépositaire de la clé ouvrant le coffre fort contenant le registre des entrées touristiques, appose dans le fameux grimoire nos noms et qualités, avant d’en extraire une large feuille qui nous ouvrira les portes des médersas de la ville.
Aujourd’hui donc, après le petit déjeuner, nous nous rendons vers le minaret dont la visite n’est pas comprise dans notre fameux billet groupé. L’idée étant de profiter de la lumière du matin ; mais avec les nuages, l’atmosphère est plutôt grise. Toujours est-il que plein d’alan, je m’en vais m’adresser à la fonctionnaire de service, armé d’un bon sourire honnête. Je lui demande s’il est possible de visiter le minaret, et c’est oui! Gratuit, cadeau! De là haut, nous avons vue sur l’enchevêtrement des ruelles, les toits en terre, les pépites des dômes vernissés, les flèches multicolores des autres minarets. Pour se hisser tout là haut, il a fallu se faufiler dans l’escalier comme dans un terrier, mais ça en valait la peine! Redescendus en bas, nous nous hasardons dans quelques médersas complètement abandonnées à cette heure de la matinée, et puis nous nous dirigeons vers le nouveau challenge de la journée : trouver un taxi pour Nukus, qui pourrait en même temps nous faire visiter quelques unes des forteresses qui parsèment le désert du Karakalpkstan.
A notre arrivée à la porte nord de la ville où se garent théoriquement les taxis, nos possibilités de négociations s’écroulent : il y a trois voitures. Et il apparait bientôt que leur niveau de compétence géographique ne dépasse pas le trajet gare-aéroport. Les discussions stériles que nous engageons font naître en nous les images d’une journée que nous pourrions passer, à aller de gare routière en gare routière, ballotés par les conseils insensés de chauffeurs pas même bons à placer leur ville de départ sur une carte de l’Ouzbékistan!
Heureusement un jeune apparaît en voiture derrière nous, attiré par la mêlée qui s’est constituée. Il est rompu aux caprices des touristes, il connaît son pays, il parle russe. La phase de négociation aboutit finalement sur la proposition de nous faire visiter trois forteresses puis de nous laisser dans une ville carrefour où nous pourrons trouver un taxi collectif direct pour Nukus, tout ça pour 30$.
C’est parti, à 100 km/h sur l’asphalte inégal des routes karakalpakates. Entre canaux et culture, puis entre tas de sable et canaux en cours d’excavation, doublant les inusables camions soviétiques et les non moins inusables véhicules utilitaires constitués d’une carriole et d’un âne. Notre chauffeur est un ouzbèque pur souche, mais par chance pour nous, il a aussi un passeport ukrainien, suite à la conception d’une petite fille ukrainienne. Bref il parle couramment russe et nous pouvons deviser presque en continu. Il est intarissable sur Poutine qui, quoi qu’en dise Rouslan, n’est pas mort, mais qui est en revanche complètement fou et mégalomaniaque, et qui a travaillé en Ouzbékistan à l’époque du KGB. Nous apprenons que si Poutine n’était pas vivant, l’empire russe ne tiendrait pas si bien, que la guerre en Ukraine n’est ni plus ni moins qu’un bras de fer entre l’OTAN et la Russie qui refuse encore et toujours de ne pas avoir d’état tampon à ses frontières. Son grand père, comme tous les grand pères ouzbèques, est mort à la guerre 39/45, ce qui nous rappelle avec émotion le monument à Tashkent à la mémoire des héros de la grande guerre patriotique. Nous y avions tourné les pages en bronze des livres énumérant un à un les noms des 400 000 soldats, sacrifiés face à l’envahisseur fasciste.
C’est sur ces considérations que nous arrivons à Topraq Qala, grosse motte de terre de 500x500m au milieu des herbes à chameau. Dans ces tas de terre, il faut voir une ville qui devait surpasser Khiva ou Buchara, mais il y a plus de 2000 ans! Le règne de cette cité s’est arrêté au VIème siècle sous les coups de boutoir des turcs! De cette splendeur il reste un tas de terre plus important dans un coin qui correspond au château des ancien seigneurs, et l’enceinte immense avec de loin en loin, des tours, parfois quelques traces de créneaux. Certaines pièces du château sont à ciel ouvert, parfois des anfractuosités débouchent sur des voûtes à arc brisé. Mais l’imagination surtout s’emballe, lorsqu’au sol on s’écarte de trous dans lesquels s’engouffrent depuis des siècles les eaux de pluie comme dans un siphon ; et de rêver des pièces boueuses que l’on pourrait trouver là dessous, assez grandes pour absorber des siècles d’argile dégoulinante. Quand on sait que déjà, dans les années trente, les archéologues russes avaient trouvé sous nos pieds des fresques de divinités grecques, ou de soldats indiens…
Mais il serait malvenu de sortir une pelle et nous continuons notre chemin jusqu’à Kyzyl Kum. Cette forteresse, perchée sur sa montagne, domine une plaine verte, verrouillant l’accès à des vallées désolées, et n’est pas sans rappeler, bien que nous n’y soyons jamais allés, la mythique Massada israélite. Tout à l’heure nous étions confrontés au drame de l’absolue vanité de toute entreprise humaine ; ici au contraire, les murs effondrés aux reliefs si évocateurs sont un éloge à la victoire de l’homme sur les éléments!
A notre arrivée à la porte nord de la ville où se garent théoriquement les taxis, nos possibilités de négociations s’écroulent : il y a trois voitures. Et il apparait bientôt que leur niveau de compétence géographique ne dépasse pas le trajet gare-aéroport. Les discussions stériles que nous engageons font naître en nous les images d’une journée que nous pourrions passer, à aller de gare routière en gare routière, ballotés par les conseils insensés de chauffeurs pas même bons à placer leur ville de départ sur une carte de l’Ouzbékistan!
Heureusement un jeune apparaît en voiture derrière nous, attiré par la mêlée qui s’est constituée. Il est rompu aux caprices des touristes, il connaît son pays, il parle russe. La phase de négociation aboutit finalement sur la proposition de nous faire visiter trois forteresses puis de nous laisser dans une ville carrefour où nous pourrons trouver un taxi collectif direct pour Nukus, tout ça pour 30$.
C’est parti, à 100 km/h sur l’asphalte inégal des routes karakalpakates. Entre canaux et culture, puis entre tas de sable et canaux en cours d’excavation, doublant les inusables camions soviétiques et les non moins inusables véhicules utilitaires constitués d’une carriole et d’un âne. Notre chauffeur est un ouzbèque pur souche, mais par chance pour nous, il a aussi un passeport ukrainien, suite à la conception d’une petite fille ukrainienne. Bref il parle couramment russe et nous pouvons deviser presque en continu. Il est intarissable sur Poutine qui, quoi qu’en dise Rouslan, n’est pas mort, mais qui est en revanche complètement fou et mégalomaniaque, et qui a travaillé en Ouzbékistan à l’époque du KGB. Nous apprenons que si Poutine n’était pas vivant, l’empire russe ne tiendrait pas si bien, que la guerre en Ukraine n’est ni plus ni moins qu’un bras de fer entre l’OTAN et la Russie qui refuse encore et toujours de ne pas avoir d’état tampon à ses frontières. Son grand père, comme tous les grand pères ouzbèques, est mort à la guerre 39/45, ce qui nous rappelle avec émotion le monument à Tashkent à la mémoire des héros de la grande guerre patriotique. Nous y avions tourné les pages en bronze des livres énumérant un à un les noms des 400 000 soldats, sacrifiés face à l’envahisseur fasciste.
C’est sur ces considérations que nous arrivons à Topraq Qala, grosse motte de terre de 500x500m au milieu des herbes à chameau. Dans ces tas de terre, il faut voir une ville qui devait surpasser Khiva ou Buchara, mais il y a plus de 2000 ans! Le règne de cette cité s’est arrêté au VIème siècle sous les coups de boutoir des turcs! De cette splendeur il reste un tas de terre plus important dans un coin qui correspond au château des ancien seigneurs, et l’enceinte immense avec de loin en loin, des tours, parfois quelques traces de créneaux. Certaines pièces du château sont à ciel ouvert, parfois des anfractuosités débouchent sur des voûtes à arc brisé. Mais l’imagination surtout s’emballe, lorsqu’au sol on s’écarte de trous dans lesquels s’engouffrent depuis des siècles les eaux de pluie comme dans un siphon ; et de rêver des pièces boueuses que l’on pourrait trouver là dessous, assez grandes pour absorber des siècles d’argile dégoulinante. Quand on sait que déjà, dans les années trente, les archéologues russes avaient trouvé sous nos pieds des fresques de divinités grecques, ou de soldats indiens…
Mais il serait malvenu de sortir une pelle et nous continuons notre chemin jusqu’à Kyzyl Kum. Cette forteresse, perchée sur sa montagne, domine une plaine verte, verrouillant l’accès à des vallées désolées, et n’est pas sans rappeler, bien que nous n’y soyons jamais allés, la mythique Massada israélite. Tout à l’heure nous étions confrontés au drame de l’absolue vanité de toute entreprise humaine ; ici au contraire, les murs effondrés aux reliefs si évocateurs sont un éloge à la victoire de l’homme sur les éléments!
Ce n’est que de la terre et des briques de terre crue fibrées à la paille recouvertes de torchis, mais tout cela a plus de 1500 ans, et continue à narguer l’immensité hostile. Il suffirait de remettre une petite couche de terre tous les ans pour que cet oppidum dure jusqu’à l’éternité. Malheureusement le fleuve en contrebas n’arrête jamais de se déplacer, car l’Amou Daria est capricieuse comme le Couesnon. Aussi la forteresse a été abandonnée au désert comme les cinquante autres qui hantent désormais l’immensité à nos pieds.
Désormais dans ces ruines esseulées, ce n’est étonnamment pas le silence qui règne, mais le vacarme du vent en rafales, le piaillement des oiseaux qui y trouvent refuge! Nous avons même croisé une famille chouette qui désapprouvait au plus haut point notre venue!
L’idéal serait de rester là à rêver, voire à méditer, mais nous n’avons pas le temps ; il nous faut trouver un taxi collectif avant qu’il soit trop tard et que les gares routières soient vides comme la plaine à nos pieds!
L’idéal serait de rester là à rêver, voire à méditer, mais nous n’avons pas le temps ; il nous faut trouver un taxi collectif avant qu’il soit trop tard et que les gares routières soient vides comme la plaine à nos pieds!
A Béruni nous en trouvons un justement qui attend, avec un couple de grands parents à son bord, des papi mami traditionnels, papi avec son petit callot noir à broderies blanches, mami dans sa blouse de couleur, les deux arborent une bonne vingtaine de dents en or. Combien de temps auraient-ils attendus si nous n’étions pas apparus? Certainement très longtemps car tout au long de notre retour vers Ourguentch, nous n’avions croisé que des gares routières vides et des carrefours abandonnés. (Trajet, 10€ pour les deux, 65000 sums).
Nous arrivons à Nukus, ville pionnière s’il en est. Des immeubles bas, rustiques et branlants; les maisons ont des toits de tôle. Les boulevards pourraient contenir des autoroutes mais pour l’heure on n’en a pas encore l’usage, on y plante donc plutôt des légumes, des arbres et des vaches. Nous nous arrêtons à Noukous car il y a là un musée unique en son genre, le musée Igor Savitsky, qui abrite la plus grande, voire la seule collection de peintures de l’avant garde russe : cette forme d’art dégénéré (que n’approuvait pas Trotski, oui oui je sais) est passée sous les fourches caudines du formatage soviétique qui a pris la forme de l’autodafé et de la rééducation par les camps. Or le conservateur du musée de Nukus qui avait été envoyé là certainement dans le but de lui faire les pieds à l’époque, s’est constitué sa petite (énorme en fait) collection sans que personne n’y trouve rien à redire ; les critiques d’art dans la région, n’étaient pas légion. On peut avoir une idée de l’isolement de l’Ouzbékistan à l’époque avec l’anecdote suivante : Charaf Rachidov, ancien président de la république socialiste d’Ouzbékistan, premier secrétaire du parti communiste d’Ouzbékistan jusqu’à sa mort en 83, (ça c’est ujn poste plus balaise que celui de président), et prix Lénine de Littérature, a détournée des milliards de dollars d’aide soviétique, s’est fait construire palais et sites à la Docteur No, en déclarant des surfaces cultivées de coton imaginaires. Heureusement pour lui, il est mort quelques mois avant que les premiers satellites soviétiques ne découvrent la mystification. Bref en Ouzbékistan, on était plutôt loin de la hargne jacobine moscovite.
Entre les immeubles lépreux aux pignons arborant des adages soviétiques humanistes, et les trottoirs herbeux, il ne va pas falloir se louper sur le choix de l’hôtel! Il y en a deux en ville, et si ça ne marche pas avec le premier, il n’en restera plus qu’un!
Finalement nous trouvons chaussure à notre pied dès le premier hôtel, le Joli Jopiek, situé à quelques mètres du musée, soit à la frontière de la vieille ville pionnière soviétique et du centre ville en pleine requalification, qui pour le coup, revêt toutes les caractéristiques de la ville pionnière chinoise moderne. De longues négociations nous amènent à être installés dans une yourte au milieu de la cour de l’hôtel.
C’est une vraie yourte spacieuse, avec à l’intérieur toutes les décorations habituelles en laine colorées, suspendues d’une nervure porteuse à l’autre, des tentures épaisses, des couvertures fourrées réversibles, un côté fleuri russe, un côté géométrique ouzbek. Le problème en fait, c’est la finesse des parois, qui assourdit peu la musique commerciale russe que diffusent les hauts parleurs du restaurant de l’hôtel. Nous estimons que ce n’est pas grave, puisque lorsque nous reviendrons de manger, tout sera vraisemblablement calmé.
Nous arrivons à Nukus, ville pionnière s’il en est. Des immeubles bas, rustiques et branlants; les maisons ont des toits de tôle. Les boulevards pourraient contenir des autoroutes mais pour l’heure on n’en a pas encore l’usage, on y plante donc plutôt des légumes, des arbres et des vaches. Nous nous arrêtons à Noukous car il y a là un musée unique en son genre, le musée Igor Savitsky, qui abrite la plus grande, voire la seule collection de peintures de l’avant garde russe : cette forme d’art dégénéré (que n’approuvait pas Trotski, oui oui je sais) est passée sous les fourches caudines du formatage soviétique qui a pris la forme de l’autodafé et de la rééducation par les camps. Or le conservateur du musée de Nukus qui avait été envoyé là certainement dans le but de lui faire les pieds à l’époque, s’est constitué sa petite (énorme en fait) collection sans que personne n’y trouve rien à redire ; les critiques d’art dans la région, n’étaient pas légion. On peut avoir une idée de l’isolement de l’Ouzbékistan à l’époque avec l’anecdote suivante : Charaf Rachidov, ancien président de la république socialiste d’Ouzbékistan, premier secrétaire du parti communiste d’Ouzbékistan jusqu’à sa mort en 83, (ça c’est ujn poste plus balaise que celui de président), et prix Lénine de Littérature, a détournée des milliards de dollars d’aide soviétique, s’est fait construire palais et sites à la Docteur No, en déclarant des surfaces cultivées de coton imaginaires. Heureusement pour lui, il est mort quelques mois avant que les premiers satellites soviétiques ne découvrent la mystification. Bref en Ouzbékistan, on était plutôt loin de la hargne jacobine moscovite.
Entre les immeubles lépreux aux pignons arborant des adages soviétiques humanistes, et les trottoirs herbeux, il ne va pas falloir se louper sur le choix de l’hôtel! Il y en a deux en ville, et si ça ne marche pas avec le premier, il n’en restera plus qu’un!
Finalement nous trouvons chaussure à notre pied dès le premier hôtel, le Joli Jopiek, situé à quelques mètres du musée, soit à la frontière de la vieille ville pionnière soviétique et du centre ville en pleine requalification, qui pour le coup, revêt toutes les caractéristiques de la ville pionnière chinoise moderne. De longues négociations nous amènent à être installés dans une yourte au milieu de la cour de l’hôtel.
C’est une vraie yourte spacieuse, avec à l’intérieur toutes les décorations habituelles en laine colorées, suspendues d’une nervure porteuse à l’autre, des tentures épaisses, des couvertures fourrées réversibles, un côté fleuri russe, un côté géométrique ouzbek. Le problème en fait, c’est la finesse des parois, qui assourdit peu la musique commerciale russe que diffusent les hauts parleurs du restaurant de l’hôtel. Nous estimons que ce n’est pas grave, puisque lorsque nous reviendrons de manger, tout sera vraisemblablement calmé.
Nous pensons que chercher un lieu où dîner sera pour nous une occasion de découvrir, de s’approprier cette cité apparemment sans âme. D’ailleurs il n’est peut être pas tant sans âme que ça, car nous sommes rapidement étonnés de voir que tous les gens que nous croisons nous demandent avec fierté à quel point nous aimons Noukous. Il n’est pas question de répondre par oui ou de non, seulement de degré d’émerveillement! Pas facile de mentir avec aplomb! Nous déambulons dans la rue principale, pas la plus large, mais celle avec les restaurants. Quelques immeubles distants en béton datant de la construction de la ville, de nouveaux bâtiments de pacotille, quelques basses maisons en brique tiennent lieu d’épicerie, les fossés entre la route et le trottoir sont remplis d’eau courante, des badauds se promènent.
Un azerbaïdjanais nous interpelle. Il se souvient avec nostalgie de l’époque de Valéry Giscard d’Estaing, cette époque bénie où il était ouvrier sur une chaîne d’usine de Mercedes à Bakou, de la beauté de la Crimée, de la moustache de Saddam Hussein! Ca c’était un homme! Les américains sont vraiment un peuple diabolique de l’avoir pendu! Et Staline, un gars bien aussi! Un vrai russe avec des coucougnettes, les terroristes ils avaient à qui parler! A coup de Katouchas il leur parlait! En fait le discours n’était pas toujours aussi rétrograde, mais s’inscrivait à merveille dans cette nostalgie guerrière qu’on sent sourdre partout dans l’ex URSS… Notre interlocuteur arborait une magnifique moustache noire, telle que Borat aurait pu envier, teinte avec soin. Lui même avait du connaître des jours meilleurs, le trou dans sa rangée de dents en or attestant qu’il avait du taper dans son capital.
On échange quelques mots avec des groupes de jeunes, un gars aviné essaie en anglais de nous indiquer l’adresse d’un restaurant, mais il ne connaît pas un mot d’anglais.
Au final nous aboutissons toujours au même carrefour où le choix doit se faire entre trois établissements : une cantine joyeuse où tout le monde est mélangé, mais pas de menu, il faut faire sa commande dans un trou du mur en se faufilant dans la cohue et la nourriture semble être plus liquide que solide ; trop technique ! On se tourne vers la deuxième proposition : un grand bâtiment moderne et moche, avec de grandes baies vitrées fumées, d’où sortent étouffées des explosions de musique insipide. A la guerre comme à la guerre, c’est un restaurant, en plus c’est marqué Soldes, allons voir! En ouvrant la porte nous tombons sur un couloir obscur et un escalier. En haut de l’escalier on devine des feux d’artifices lumineux ; le vacarme est assourdissant, il nous semble avoir ouvert les portes de l’enfer! L’air lui même autour de nous, quoi que sombre, semble vibrer. Vite vite, marche arrière!
Ne reste plus que la troisième solution ; ce restaurant fait le coin de la rue et est pour le moins énigmatique : c’est un carré de béton rose avec une porte de quatre mètre de haut au milieu d’une de ses façades nues. Poussons la porte avec circonspection. Obscurité. Un peu de lumière au fond du couloir et deux silhouettes immobiles sur des chaises. Nous nous approchons, la lourde porte se referme derrière nous. Dans une pénombre rose, un homme et une écolière en jupette bleu marine attendent. Impossible de lire dans leurs regards, il fait trop sombre.
“Euh, ce serait pour dîner”. En disant ces quelques mots j’ai vraiment l’impression de dire une connerie, je pèse chacune de mes syllabes.
Les deux silhouettes alors se lèvent et s’agitent.
_Pour dîner, oui oui, à gauche ou à droite?
Ce disant l’homme nous montre un passage enténébré à gauche et complètement opaque à droite, ce que l’on appelle un cul de four.
_Euh, plutôt à gauche, il y a de la lumière.
_Mais nous pouvons mettre de la lumière à droite aussi!
_Oui mais à gauche quand même!
A gauche une grand mère engueule une autre jeune fille en écolière. Quelle sorte de mère maquerelle est-ce là? L’homme nous présente la salle de restaurant. Eclairée comme le métro de Tashkent, les banquettes en sky marron semblent encore absorber ce qui reste de lumière. Fond musical de soupe commerciale, pas un client. Hors de question de manger là! Heureusement notre guide a encore une solution : il y a une terrasse !
_Ah très bien la terrasse!
Nous nous précipitons vers la terrasse comme on se jette contre un mur…
Nous passons devant les cuisines où patientent d’autres écolières et débouchons sur le patio central. Une fontaine au milieu, en fausse pierre vulgaire, projette à deux mètres de haut un jet d’eau qui retombe en cataracte pétaradante. On s’entend à peine parler. Une table occupée, une table inoccupée, le reste couvert de béton est vide.
A la première table un couple d’italiens que nous avions croisé la veille et le soir même, s’est fait prendre en otage par un groupe de trois ouzbèques en virée. Ca toaste à la vodka et ça zakousse à la bière, ils vont mal finir la soirée! Nous prenons sagement la deuxième table. Finalement en fin de repas la lumière s’allume dans la pièce de droite, celle que nous avions évitée car plongée dans l’obscurité. C’est le dance floor. Musique à fond et stroboscope, nos joyeux ouzbeques y entrainent les pauvres italiens qui n’en demandaient pas tant! Heureusement que nous n’étions pas allés à droite.
Un azerbaïdjanais nous interpelle. Il se souvient avec nostalgie de l’époque de Valéry Giscard d’Estaing, cette époque bénie où il était ouvrier sur une chaîne d’usine de Mercedes à Bakou, de la beauté de la Crimée, de la moustache de Saddam Hussein! Ca c’était un homme! Les américains sont vraiment un peuple diabolique de l’avoir pendu! Et Staline, un gars bien aussi! Un vrai russe avec des coucougnettes, les terroristes ils avaient à qui parler! A coup de Katouchas il leur parlait! En fait le discours n’était pas toujours aussi rétrograde, mais s’inscrivait à merveille dans cette nostalgie guerrière qu’on sent sourdre partout dans l’ex URSS… Notre interlocuteur arborait une magnifique moustache noire, telle que Borat aurait pu envier, teinte avec soin. Lui même avait du connaître des jours meilleurs, le trou dans sa rangée de dents en or attestant qu’il avait du taper dans son capital.
On échange quelques mots avec des groupes de jeunes, un gars aviné essaie en anglais de nous indiquer l’adresse d’un restaurant, mais il ne connaît pas un mot d’anglais.
Au final nous aboutissons toujours au même carrefour où le choix doit se faire entre trois établissements : une cantine joyeuse où tout le monde est mélangé, mais pas de menu, il faut faire sa commande dans un trou du mur en se faufilant dans la cohue et la nourriture semble être plus liquide que solide ; trop technique ! On se tourne vers la deuxième proposition : un grand bâtiment moderne et moche, avec de grandes baies vitrées fumées, d’où sortent étouffées des explosions de musique insipide. A la guerre comme à la guerre, c’est un restaurant, en plus c’est marqué Soldes, allons voir! En ouvrant la porte nous tombons sur un couloir obscur et un escalier. En haut de l’escalier on devine des feux d’artifices lumineux ; le vacarme est assourdissant, il nous semble avoir ouvert les portes de l’enfer! L’air lui même autour de nous, quoi que sombre, semble vibrer. Vite vite, marche arrière!
Ne reste plus que la troisième solution ; ce restaurant fait le coin de la rue et est pour le moins énigmatique : c’est un carré de béton rose avec une porte de quatre mètre de haut au milieu d’une de ses façades nues. Poussons la porte avec circonspection. Obscurité. Un peu de lumière au fond du couloir et deux silhouettes immobiles sur des chaises. Nous nous approchons, la lourde porte se referme derrière nous. Dans une pénombre rose, un homme et une écolière en jupette bleu marine attendent. Impossible de lire dans leurs regards, il fait trop sombre.
“Euh, ce serait pour dîner”. En disant ces quelques mots j’ai vraiment l’impression de dire une connerie, je pèse chacune de mes syllabes.
Les deux silhouettes alors se lèvent et s’agitent.
_Pour dîner, oui oui, à gauche ou à droite?
Ce disant l’homme nous montre un passage enténébré à gauche et complètement opaque à droite, ce que l’on appelle un cul de four.
_Euh, plutôt à gauche, il y a de la lumière.
_Mais nous pouvons mettre de la lumière à droite aussi!
_Oui mais à gauche quand même!
A gauche une grand mère engueule une autre jeune fille en écolière. Quelle sorte de mère maquerelle est-ce là? L’homme nous présente la salle de restaurant. Eclairée comme le métro de Tashkent, les banquettes en sky marron semblent encore absorber ce qui reste de lumière. Fond musical de soupe commerciale, pas un client. Hors de question de manger là! Heureusement notre guide a encore une solution : il y a une terrasse !
_Ah très bien la terrasse!
Nous nous précipitons vers la terrasse comme on se jette contre un mur…
Nous passons devant les cuisines où patientent d’autres écolières et débouchons sur le patio central. Une fontaine au milieu, en fausse pierre vulgaire, projette à deux mètres de haut un jet d’eau qui retombe en cataracte pétaradante. On s’entend à peine parler. Une table occupée, une table inoccupée, le reste couvert de béton est vide.
A la première table un couple d’italiens que nous avions croisé la veille et le soir même, s’est fait prendre en otage par un groupe de trois ouzbèques en virée. Ca toaste à la vodka et ça zakousse à la bière, ils vont mal finir la soirée! Nous prenons sagement la deuxième table. Finalement en fin de repas la lumière s’allume dans la pièce de droite, celle que nous avions évitée car plongée dans l’obscurité. C’est le dance floor. Musique à fond et stroboscope, nos joyeux ouzbeques y entrainent les pauvres italiens qui n’en demandaient pas tant! Heureusement que nous n’étions pas allés à droite.