Jeudi 02/04/2015 Manakara - Ranomafana
Cette nuit est tropicale. La pluie bat continuellement sur les palmes de notre toit tandis que le grondement de la mer occupe tout le spectre des graves. L’océan nous entoure et en roulant sur les récifs invisibles, se rappelle à notre souvenir, faisant surgir dans nos esprits les histoires de naufrageurs et de pirates qui ont longtemps fréquenté cette côte. Aussi, au petit matin, dès que les rayons du soleil sont devenus chauds, se jouant depuis l’horizon des nuages noirs qui restent cantonnés aux côtes vertes, je me précipite vers la mer, escalade le mur de la piscine abandonnée de l’hôtel depuis de longues années (le canal qui l’alimentait depuis la mer est écroulé et n’amène plus qu’un filet d’eau qui suffit à en faire un magnifique miroir du ciel), et me rue dans l’océan indien, face à plusieurs dizaines de milliers de kilomètres d’inconnu sauvage. Je fais deux pas sur le sable mouillé et m’arrête incrédule. Comment rentrer là dedans? Est-ce vraiment prudent? A quelques mètres de moi, c’est carrément une zone de guerre : les vagues anarchiques s’abattent quasiment verticalement à mes pieds, avec une force suffisante pour broyer les os du malheureux qui tenterait de passer le bras au travers de cette muraille.
Et ça bouillonne, ça laboure le sable et retourne en arrière d’une dizaine de mètres, libérant l’espace quelques inquiétantes secondes avant qu’un cataclysme ne s’abatte à nouveau, avec une force redoublée. Il me faut un certain temps pour domestiquer cette vague. Je la contourne, je m’approche, j’esquive ses ruades, et pendant un bon quart d’heure nous jouons au chat et à la souris. La plage est déserte, très loin vers les palmiers au sud, des enfants réduits à des silhouettes jouent au même jeu que moi. Maintenant je connais la vague, je peux plus ou moins anticiper ses frasques, et je me jette soudainement dans la furie pour atteindre le large (c’est à dire à à peine 20m) de toute la force de mes bras. Ouf ça passe! Cela dit au large, si c’est un peu moins cataclysmique, on ne peut pas dire non plus que je file tout droit, que je me pâme dans l’onde. Je suis roulé de gauche et de droite, les vagues me ballottent comme un fétu, les particules qui passent sous mon corps dans l’eau tout sauf transparente sont des maelströms inquiétants qui donnent à ma nage une idée de traversée atmosphérique. Lorsque je relève le nez, quelle n’est pas ma surprise de voir apparaître un pêcheur assis dans sa pirogue, pagayant impeccablement. Ou est-ce un mirage? Il a disparu… Non, quelques secondes plus tard il réapparaît bien plus loin, juché sur une lame qu’il dévale bien vite, comme si de rien n’était, et redisparaît. Assez joué, je retourne à la plage, c’est plus prudent et après tout Rigobert nous a dit hier que si les guides parlaient tant des requins, c’était en fait pour décourager les touristes de s’aventurer dans la mer et de finir victimes des courants, seul vrai danger ici avant les récifs, derrière lesquels patientent effectivement les requins! Mais d’ailleurs ils n’y sont plus vraiment et les pêcheurs doivent aller de plus en plus loin pour les chasser. Ce retour sur terre est catastrophique, pour le coup j’ai vraiment l’impression d’être une capsule союӡ de retour sur la terre, bringuebalée par des forces qui me dépassent. A travers mon masque, j’ai l’impression de voir défiler un résumé de la création de l’univers, une sorte de film accéléré en 3D dans lequel je vole, sans plus savoir où est le haut du bas, je dirais que chacun de mes membres prend une direction particulière, et je crois bien que finalement j’échoue sur la plage les jambes en l’air, et le visage tourné vers le large. Magnifique, j’ai rejoint la côte comme un authentique naufragé, je rampe les derniers mètres pour me mettre à l’abri. Heureusement que c’est du sable, j’aurais fini hâché!
A l’issue de ce petit rafraichissement, nous prenons la voiture pour rallier Ranomafana, cité thermale réputée du temps de la colonisation jusqu’à aujourd’hui, et parc naturel internationalement reconnu. Cela veut dire refaire en sens inverse, mais en voiture, le trajet que nous avons fait en train. Alors certes c’est plus rapide, mais ce que nous gagnons en vitesse, nous le perdons en rectitude! Ca tourne, ça tourne! Nous traversons à nouveau un monde de collines ; des collines à perte de vue, des grandes, des petites, des rondes et des pointues, des rasées et des velues, toujours vertes. Enormément de piétons en bord de route, il faut dire qu’il semble que ce soit jour de marché dans un village sur deux que nous traversons. Du coup tout ce que les autres villages comptent d’habitants sont sur la route avec animaux, plantes, paniers, baluchons, sur la tête, sur le porte bagage, un véritable exode! Dans les villages hôtes, c’est la cohue! La nature des denrées proposées est un peu répétitive: fruits, légumes, poudres, graines, poulets, feuilles, tiges, planches. Quelques biens manufacturés chinois sur le bord de la route, mais très peu : des radios et des lampes de poche. Question vêtements, ce sont des accoutrements neufs fluos de fabrication chinoise, ou des secondes mains européens, plus sobres. Il faut dire que en campagne, nombreux sont ceux qui pratiquent encore le troc. Du coup si l’on n’a pas dans son terrain d’arbre du voyageur nécessaire à la réfection de la couverture de la ferme familiale, on se rend au village voisin avec quelques poulets qu’on échange contre plusieurs ballots de feuilles, et le tour est joué, la restauration de la toiture peut commencer. Puisque tous les objets d’une civilisation agraire existent à l’état naturel dans la nature, il faut une certaine spécialisation pour les produire et les transformer, et ces marchés servent à répartir tous ces produits.
Autrement sur la route, très peu de véhicules hormis la 405 d’un autre couple de français qui suit le même trajet que nous depuis trois jours, et des camions, généralement à l’arrêt, et que des processions de paysans viennent remplir de régimes de bananes retirés des greniers des villages alentours. Les régimes sont encore verts, ils seront mûris dans des fours une fois à Tana. Ces opérations de chargement doivent durer un certain temps, car il n’est pas rare de voir le bitume aux alentours immédiats des poids lourds recouverts de bois de cannelle à sécher, ou de grains divers et variés, profitant justement du fait que la route est de fait interdite devant et derrière le camion.
Ainsi toutes les traversées de villages sont des enquêtes olfactives à la recherche des productions locales.
Finalement nous arrivons à Ranomafana, et il est plus que temps car Mario notre guide, est pris de fièvres, il tremble, et ne sent plus ses membres. Il nous avait dit un peu plus tôt qu’il avait le palu, est-ce une crise? Toujours est-il que son organisme n’accepte pas le repas, et pourtant c’était fort bon! Lui avait eu une cassolette de porc et de riz, tandis que nous nous régalions d’une sorte de daube de zébu fondante et grasse, avec du riz aussi.
Cet après midi nous laissons donc Mario sur un lit à récupérer, tandis que nous cherchons par nous même le fameux centre thermal avec sa piscine d’eau naturelle à 40°C. Mais Ranomafana n’est pas une ville coloniale comme les autres, ça devait plus être un camp de vacances qu’une vraie cité! Du coup, si à Manakara par exemple, on trouvait de belles rues bien droites avec des bâtiments en béton armé délabrés, façon Le Corbusier, et qu’il était facile de se repérer, Ranomafana n’est qu’une petite ville d’eaux, au confluent de plusieurs vallées, avec des hôtels, des masures en bois aux planches à peine jointives, quelques maisonnettes en briques, des petits stands de rien du tout en bord de route, bref rien qui nous dise vraiment où se trouvent ces thermes si réputés et que l’on imaginait avec un grand T. Nous tournons, tournons. Pas loin de l’étendue herbeuse où jouent des théories de gamins, un papi qui tient un guérite touristique sous des arbres nous annonce que non aujourd’hui les thermes ne sont pas ouverts car on entretient le pont…
_Ah bon? Et demain on aura fini de l’entretenir le pont?
_Peut être oui, peut être non…”
Intrigués, nous décidons d’aller voir le fameux pont, ne comprenant pas comment des travaux d’entretien nous empêcheraient de visiter les thermes! Après quelques mètres nous voyons déjà la rivière, assez large et relativement tumultueuse. Mais de pont, point. Et pour cause. Il y en a bien un squelette, mais seulement sur la deuxième partie du lit de la rivière.
Ainsi toutes les traversées de villages sont des enquêtes olfactives à la recherche des productions locales.
Finalement nous arrivons à Ranomafana, et il est plus que temps car Mario notre guide, est pris de fièvres, il tremble, et ne sent plus ses membres. Il nous avait dit un peu plus tôt qu’il avait le palu, est-ce une crise? Toujours est-il que son organisme n’accepte pas le repas, et pourtant c’était fort bon! Lui avait eu une cassolette de porc et de riz, tandis que nous nous régalions d’une sorte de daube de zébu fondante et grasse, avec du riz aussi.
Cet après midi nous laissons donc Mario sur un lit à récupérer, tandis que nous cherchons par nous même le fameux centre thermal avec sa piscine d’eau naturelle à 40°C. Mais Ranomafana n’est pas une ville coloniale comme les autres, ça devait plus être un camp de vacances qu’une vraie cité! Du coup, si à Manakara par exemple, on trouvait de belles rues bien droites avec des bâtiments en béton armé délabrés, façon Le Corbusier, et qu’il était facile de se repérer, Ranomafana n’est qu’une petite ville d’eaux, au confluent de plusieurs vallées, avec des hôtels, des masures en bois aux planches à peine jointives, quelques maisonnettes en briques, des petits stands de rien du tout en bord de route, bref rien qui nous dise vraiment où se trouvent ces thermes si réputés et que l’on imaginait avec un grand T. Nous tournons, tournons. Pas loin de l’étendue herbeuse où jouent des théories de gamins, un papi qui tient un guérite touristique sous des arbres nous annonce que non aujourd’hui les thermes ne sont pas ouverts car on entretient le pont…
_Ah bon? Et demain on aura fini de l’entretenir le pont?
_Peut être oui, peut être non…”
Intrigués, nous décidons d’aller voir le fameux pont, ne comprenant pas comment des travaux d’entretien nous empêcheraient de visiter les thermes! Après quelques mètres nous voyons déjà la rivière, assez large et relativement tumultueuse. Mais de pont, point. Et pour cause. Il y en a bien un squelette, mais seulement sur la deuxième partie du lit de la rivière.
A y regarder de plus près, il semble qu’une passerelle de planches clouées sur des troncs conduise jusqu’au tronçon de passerelle restante. En revanche, de travaux, point. Et rien qui ressemble même à une velléité d’intervention. La passerelle de bois semble ancienne, et la deuxième en poutrelles métallique semble même centenaire. D’ailleurs en se rapprochant encore, ce n’est même plus une passerelle, c’en est une évocation ; la première partie git dans la rivière, ses poutres entortillées au fil du courant autour des rochers, tandis que la deuxième partie, encore juchée sur ses piles, semble avoir été tressés comme un scoubidou. Il n’y a plus de tablier. Seul un tronc d’une bonne quinzaine de mètres de portée enjambe le flot, et les enfants l’empruntent sans vergogne. En revanche les adultes, même locaux, ont un mouvement d’arrêt et d’interrogation devant cet obstacle. Parfois un homme jeune passe, après avoir enlevé ses tongues pour mieux sentir le bois sous ses pieds. Des hommes plus acrobates tentent leur chance par l’entortillement des poutrelles. Tous les autres se jettent à l’eau et traversent la rivière à gué, avec l’eau jusqu’à la taille. La palme de l’abnégation revient à tous ces travailleurs de la charge qui, avec 50kg sur le dos, que ce soient des poutres de bois, des régimes de bananes ou des sacs de charbon, se jettent dans la rivière, le pied hésitant dans le flot qui tente de chasser les appuis. Les uns après les autres, esseulés dans les remous, ils passent. Aussi à mon tour je décide de tenter ma chance à gué afin d’en avoir le cœur de net et savoir si oui ou non nous pourrons nous baigner dans ces fameuses eaux thermales.
Verdict, il n’y a pas une goutte d’eau dans la piscine!
Nos pas nous ramènent finalement vers notre logis dépendant d’une communauté religieuse, et comme c’est déjà la veille du vendredi saint, nous assistons à la messe. Les chants sont très animés, avec même des chorégraphies d’adolescents en procession ; les enfants de chœur rentrent et sortent continuellement, avec des effets d’encensoirs intimidants qui jettent systématiquement la communauté pendant quelques secondes dans un brouillard épais ; les jeunes filles sont peu attentives, partent se promener par deux, par trois, avant de revenir en gloussant. Derrière le prêtre, sur les murs simples et blancs de son église, une statue en bois peint d’un arbre du voyageur, dont nous avons appris aujourd’hui qu’il tient son nom de l’aide effective qu’il apporte aux voyageurs puisque sa forme particulière de palmier à queue de pan lui permet de recueillir l’eau de pluie en son cœur, que le voyageur n’a qu’à creuser pour obtenir une eau désaltérante.
Verdict, il n’y a pas une goutte d’eau dans la piscine!
Nos pas nous ramènent finalement vers notre logis dépendant d’une communauté religieuse, et comme c’est déjà la veille du vendredi saint, nous assistons à la messe. Les chants sont très animés, avec même des chorégraphies d’adolescents en procession ; les enfants de chœur rentrent et sortent continuellement, avec des effets d’encensoirs intimidants qui jettent systématiquement la communauté pendant quelques secondes dans un brouillard épais ; les jeunes filles sont peu attentives, partent se promener par deux, par trois, avant de revenir en gloussant. Derrière le prêtre, sur les murs simples et blancs de son église, une statue en bois peint d’un arbre du voyageur, dont nous avons appris aujourd’hui qu’il tient son nom de l’aide effective qu’il apporte aux voyageurs puisque sa forme particulière de palmier à queue de pan lui permet de recueillir l’eau de pluie en son cœur, que le voyageur n’a qu’à creuser pour obtenir une eau désaltérante.