Dimanche 29 et lundi 30 mai 2016, Bouchara
L’idée de notre séjour à Buchara, c’est de s’imprégner de l’atmosphère des lieux et d’en ressentir la magie intemporelle. Or Bouchara est une ville touristique. Nombreux sont les touristes qui passent ici, mais ils ne font qu’y passer. A l’image de notre groupe d’allemands de Nukus dont nous avons vu les bus garés un soir aux abords du caravansérail indien. Le lendemain matin ils n’y étaient plus. Les touristes sont invités à se promener entre quatre caravansérails qui sont la quadrature d’un manège commercial. De l’un à l’autre ils déambulent entre les murs d’hôtels imitant l’ancien, et les murs d’authentiques bâtiments moyenâgeux restaurés avec les fonds de l’UNESCO. Les restaurations sont d’ailleurs très respectueuses de l’existant, mais c’est la moindre des choses quand on est classé au patrimoine mondial de l’humanité.
En revanche, si l’on sort de ce parcours dirigiste et rutilant, Bouchara se laisse véritablement découvrir : une première idée de Bouchara peut être donnée en regardant la ville depuis le ciel : c’est un véritable gruyère! Toutes les maisons en effet sont aménagées autour d’une cour intérieure entourée de grands préaux : ici l’ombre est aussi importante que l’eau. On s’y vautre littéralement. La chaleur est accablante, s’y soustraire est un art de vivre. D’ailleurs quelle grâce ont les jeunes filles à porter leur ombrelle! Avec quelle supériorité les femmes mûres manient-elles leurs éventails colorés! Avec quelles paresse les vieilles femmes s’affalent-elles sur les lits traditionnels! Ai-je déjà parlé de ces lits traditionnels qui sont le monument de la vie sociale ouzbeque? Chaque famille dispose d’au moins un des ces lits géants, généralement de 3m x 2m, sur lequel on monte après s’être déchaussé. Le lit est recouvert d’un grand tapis et de fins matelas qui entourent une petite table basse. Des garde-corps en fer forgé ou en bois travaillé encadrent trois côtés. C’est ici qu’on mange, qu’on boit le thé, et surtout qu’on profite de l’ombre! Les différences sociales se lisent dans le travail du lit. Dans certaines cours où les préaux sont soutenus par des colonnes en bois de santal ouvragé, les lits sont de véritables pièces de marqueterie, mais devant les petites maisons en terre comme au restaurant routier, ce sont plutôt de tors d’acier soudés les uns aux autres. Pour ressentir cet art de vie, il faut s’approcher, rencontrer les gens, et donc errer dans les ruelles. Et puis d’ailleurs les monuments centenaires de la ville ne se situent pas que dans l’hyper centre, il y en a partout disséminés, et pas toujours en bon état, dans leur jus comme on dit, leur jus du XVIIème siècle. Des mosquées, des médersas, des caravansérails. Au détour d’une ruelle biscornue, derrière un faisceau de tuyaux plus ou moins rouillés, abritant dans leur ombre un lada antédiluvienne, on peut trouver de vénérables murs arborant encore quelques coquettes tuiles vernissées, à moitié enfoncé dans le sol pour ne pas avoir suivi les réaménagements urbains ; on entre en poussant des portes ouvragées qui ne demandent qu’à s’arracher de leurs gonds. Dans la cour qui s’offre au regard, des amas de briques de tous âges, des cellules blanchies à la chaux dont les plafonds ont rejoint le plancher, quelques arbres tordus qui se sont installés, et surtout des familles d’oiseaux qui pépient et jouent à se poursuivre en frôlant ces antiques parois.
Et l’on va, errant ainsi, jetant un coup d’œil curieux dans les cours rafraîchissantes, répondant aux sollicitations des autochtones qui tiennent le mur. Toujours curieux de savoir d’où nous venons, la France suscite au final un bel enthousiasme avec ses quelques figures clé : l’éternel Zinedine Zidane avec ses nouveaux lauriers d’entraineur, Gérard Depardieu, Mitterrand, Chirac. On s’inquiète de nous voir nous promener comme ça en liberté, on nous demande une explication. L’explication, le sésame, celui qui nous ouvre toutes les sympathies, c’est justement ce mot : гуляем, gouliayem, on se promène! A ce mot les visages s’ouvrent, les dents en or s’illuminent! Un ouzbeque qui doit être retraité de l’armée rouge nous fait même rentrer dans son salon où dort une magnifique Volga des années 50, le modèle du président Khrouchtchev, complètement restaurée. Dans cette ville tout est à moitié en ruine, l’autre moitié est en travaux, c’est un peu le concept lorsque l’on construit en terre! En revanches les rues sont propres et les murs peints de frais. On construit aujourd’hui comme on construisait hier, et nous recevons des leçons de technique parasismique : les fondations sont en brique, puis une assise en bois qui fait toute l’épaisseur du mur, constituée de madriers croisés. Et puis là dessus partent des bouts de bois dans tous les sens, un peu façon colombages, tandis que les vides sont remplis de briques et de terre. L’enduit de finition est un torchis, et généralement en pied de façade, du fait des éclaboussures, la terre est partie, il ne reste plus que la paille. Les bouts de bois qui constituent le squelette de la maison (et qui peuvent être remplacées des structures Béton Armé indescriptibles dans le cas de bâtiments résolument modernes) peuvent dépasser de la façade, et servent alors d’appui pour un encorbellement. A l’intérieur des mosquées, c’est généralement le point de départ de ces voûtes typiques en quart de rond.
Et puis à force de marcher, on sort de la vieille ville, on quitte les lazzis ombragés, et on débouche sur Stalingrad! Tout le monde a plus ou moins en tête l’urbanisme de Stalingrad? Et bien ici c’est tout pareil : des boulevards à angles droit, immenses, qui séparent des blocs dévolus aux immeubles d'habitation ou aux usines et entrepôts. Une gare au milieu avec des voies qui se dispersent entre ces rangées de bâtiments bas et étalés. Des parcs pour les prolétaires. Des jeux pour enfants entre les tours. Les murs sont en briques et enduits, les toits sont en tôles galvanisées. Les herbes folles poussent mollement dans cet espace exagéré. Certains quartiers néanmoins sont plus modernes : des rangées de tours en béton datant de l’élan moderniste des années 70. D’autres sont plus apaisés : des rangées d’isbas sous des treilles de vignes avec leurs ladas sagement garées devant.
Et bien au milieu de cet urbanisme typiquement russe qui recouvre ce qui était autrefois le désert au pied des murs de la ville, on trouve encore des pépites!
Telle une mosquée à côté de la tombe d’un Saint homme, ou d’un poète, ou d’un parent de Gengis Khan, ou d’un homme qui fut tout cela à la fois; à l’époque cet ensemble religieux devait ressembler à la mosquée où nous avons laissé notre camarade du taxi. Aujourd’hui il est cerné par le modernisme.
Et bien au milieu de cet urbanisme typiquement russe qui recouvre ce qui était autrefois le désert au pied des murs de la ville, on trouve encore des pépites!
Telle une mosquée à côté de la tombe d’un Saint homme, ou d’un poète, ou d’un parent de Gengis Khan, ou d’un homme qui fut tout cela à la fois; à l’époque cet ensemble religieux devait ressembler à la mosquée où nous avons laissé notre camarade du taxi. Aujourd’hui il est cerné par le modernisme.
Telle cette Sardoba dénichée au milieu de la cour d’une école : une sardoba c’est une coupole abritant une source, édifice qui n’allait pas autrefois sans un caravansérail. La route de la soie et des échanges commerciaux n’ayant pas trop changé, nous croiserons une autre Sardoba aux alentours de Navoï, à côté de l’immense portail qui figurait l’entrée d’un caravansérail, ce qui nous permet de mettre une image sur ces haltes caravanières du temps jadis. A voir l’étendue des ruines, le caravansérail se situait à mi chemin de la citadelle et de la ville fortifiée.
Toujours dans les faubourgs de Buchara, nous avons eu aussi l’opportunité de visiter une autre Sardoba tout juste restaurée. L’eau limpide est embrasée de raies lumineuses, le miroitement apaisant projeté sur la voûte vénérable nous invite tout autant à la paresse qu’à la méditation. Surtout quand on pense que cette eau sourde là depuis 4000 ans, que des civilisations se sont étripées autour, ont rasé et reconstruit, mais sans jamais profaner ces havres de paix !
Toujours dans les faubourgs de Buchara, nous avons eu aussi l’opportunité de visiter une autre Sardoba tout juste restaurée. L’eau limpide est embrasée de raies lumineuses, le miroitement apaisant projeté sur la voûte vénérable nous invite tout autant à la paresse qu’à la méditation. Surtout quand on pense que cette eau sourde là depuis 4000 ans, que des civilisations se sont étripées autour, ont rasé et reconstruit, mais sans jamais profaner ces havres de paix !
Il faudrait dire aussi quelques mots des monuments qui font de Buchara cet authentique joyau de la route de la Soie : c'est-à-dire les médersas et leurs dômes rutilants qui répondent aux différentes nuances de la lumière du jour. Pour comprendre il n’y a qu’à se planter devant la médersa Mir-i-arab et attendre. Se perdre dans la contemplation des reflets sur les mosaïques de la façade et ne jamais réussir à saisir l’instant où les couleurs ont changé, où le scintillement est devenu flamboiement! Et ainsi dans le centre, partout de des dômes, des baies cintrées, des voûtes qui s’élèvent, des formes géométriques épurées, sobres et rehaussées de joyaux de faïences. On finit par comprendre ce qui fait de Buchara le bijou du Kyzil Kum! Planté au milieu de tout ce patrimoine unique, le surplombant en l’embellissant encore, le fameux minaret Kalon, aux dessins si particulier. C’est tout autant un phare qu’un minaret, et à l’époque des caravanes, un feu était aménagé à son sommet pour les guider à travers les immensités vides. Le jour au contraire il permettait d’observer le poudroiement des colonnes en marche. Trop de poudroiement pourrait bien indiquer le début des ennuis avec les nomades!