LE CANAL DU MIDI A VELO, ET MEME UN PEU PLUS
De Toulouse à Lunel en passant par Sète, puis de la Sainte Baume aux Arcs via le chemin de Saint Jaques de Compostelle sur la voie arlésienne.
Nous sommes partis à quatre de Toulouse : Céline, Adrien (un de nos deux amis d’Antibes historiques d’Antibes avec Denis, aujourd’hui informaticien free lance et professeur de Yoga), Flora sa copine qui postule dans divers pays du monde pour devenir professeur de Français Langues Etrangères, et moi-même.
D’abord précisons que nous avons eu beaucoup de chance avec le temps car depuis des semaines il pleuvait et ventait. Tout au long de notre périple, nous n’avons eu que du soleil. L’objectif étant de relier Toulouse à Sète par le canal du midi puis, juste Céline et moi, d’atteindre Marseille en traversant la Camargue tout en faisant un petit pèlerinage aux Saintes Maries de la Mer, où nous avions galopé le printemps précédent à l’occasion de mon anniversaire.
Nous sommes partis le 16 février 2017 de Toulouse, que nous avons traversé du sud au nord ; petit à petit, l’urbanisme s’étale, la densité des constructions s’amenuise, les tours d’habitation laissent place aux universités (nous croisons l’INSA), les universités aux usines, les usines aux friches, les friches aux champs, et au terme de 77 km avons rejoint Villepinte. Cette étape était volontairement un peu courte afin d’habituer nos muscles à l’effort. Les cinquante premiers kilomètres ont été faciles car en haute Garonne la piste est goudronnée. Arrivés dans l’Aude, plus de goudron, mais un chemin assez large recouvert de branches mortes.
Nous faisons halte à la terrasse d’un restaurant installé dans une maison éclusière, passant un agréable moment qu’il nous faudra rattraper plus tard… Puis nous passons le seuil de partage des eaux (seuil de Naurouze) et son impressionnante expression d’ingénierie hydraulique pour pédaler jusqu’à la nuit, jusqu’à 18h30, heure à laquelle nous atteignons notre hôtel. L’hôtelier nous avait appelé, il s’inquiétait déjà de ne pas nous voir arriver ! Du point de vue physique j’avais fait une petite hypoglycémie en cours de journée, vite soignée par l’absorption de quelques figues. Le reste des troupes va bien, et va même encore mieux une fois attablée à la table du restaurant au RdC de l’hôtel : ici on est en pays de Castelnaudary, capitale du Cassoulet, le cuisinier de l'hôtel des deux acacias a son diplôme de maître Cassouletier, nous profitons de l’occasion pour nous régaler !
Au matin, la pureté de l’air est telle que la campagne est toute recouverte de brume cotonneuse ; nous nous enfonçons gaiement dedans, la haie dressée de platanes et l’étendue glauque du canal sont nos seuls repères, figés par le froid. Mais au fur et à mesure que la journée avance, la brume se désagrège, la chaleur monte, et bientôt il nous faut nous recouvrir le visage de crème solaire ! Déjà mon nez commence à peler !
Comme nous avions à parcourir une grosse étape et que Flora a un vélo élégant mais pas vraiment routier, j’improvise quelques raccourcis par la route, ce qui nous permet de traverser le centre ville de Carcassonne. C’est seulement après Carcassonne que nous commençons à nous enquérir de notre pitance. Le canal traverse bien quelques patelins, mais de ces patelins désertés au soleil de l’après midi, et où ceux qui restent illustrent fièrement les paroles de la chanson de Brassens, « les imbéciles heureux qui sont nés quelque part ». Tout est mort donc, et les quelques individus que nous croisons ont le visage vulgaire et aviné, le verbe plus encore. L’architecture est un mélange de médiéval et de troisième république, on a l’impression comme dans certaines villes coloniales, que le temps s’est arrêté dans les années 30. Bref, il est difficile de trouver à manger. A Marseillette nous sommes accueillis par les pétarades d’un scooter sur lequel est juché sans casque un quinquagénaire au profil de chasseur, et dans le sillon duquel s’envole les accords d’une chanson de Johny, qu’un poste embarqué crache à plein poumons… Bonne route. Au cœur du village, la tenancière du bar municipal refuse de nous faire à manger au prétexte qu’à 13h30, la cuisine est fermée. Après de longs pourparlers, elle acceptera de nous faire deux sandwichs pour quatre ! Ici on n’a pas peur de recevoir une mauvaise appréciation sur trip advisor ! Restaurés de ces deux sandwichs, nous repartons, mais bientôt c’est l’eau qui commence à nous inquiéter ! Heureusement nous nous arrêtons plus loin, à La Redorte, où une boulangère nous fait bien meilleur accueil, et accepte de remplir nos bidons. Mais finalement, à la fin de la journée Adrien est en déshydratation, il lui devient difficile de pédaler, difficile de raisonner, il n’est même plus capable de faire des jeux de mots, ce qui lui est pourtant normalement plus naturel même que de respirer.
A la nuit tombée nous nous arrêtons à Paraza, où nous trouvons une petite supérette communale, et pouvons faire les emplettes pour le repas du soir. Dès lors, il nous faut rallier Sallèle d’Aude, de nuit, par les départementales, avec 3 phares avant et un phare arrière pour quatre. Les voitures nous frôlent et nous klaxonnent, angoissant ! Nous aboutissons finalement dans notre Air BnB à 19h45, après 98km de pédalage. Flora a le genou qui gonfle et les fesses enflammées. Sallèle d’Aude, pour l’anecdote, c’est une ancienne ville romaine spécialisée dans la fabrique d’ustensiles en terre cuite, briques, tuiles, canalisations. Une véritable ville-usine. Nous aurions voulu nous arrêter au Somail où se trouve la librairie de livres anciens la plus fantastique du monde, mais nous n’y avons pas trouvé de logement, et Sallèle d’Aude nous a paru alors comme une charmante ville voisine, sans réaliser qu’elle n’était pas sur le même tronçon du canal du midi, et que dans le noir nous précipitions vers Narbonne !
Du coup le lendemain, il nous faut traverser la campagne pour retrouver notre canal du midi. Ce sera fait à Capestang, charmante cité du Minervois, fièrement campée autour de sa cathédrale inachevée, au chevet esseulé comme un silo. Entre temps nous avons pédalé en douceur sur les petites routes aux matins frais, entre vignes, champs et éoliennes anciennes, il y avait dans nos divagations et la prodigalité du printemps naissant, un quelque chose de « La grande Vadrouille ». Seulement il nous faut pédaler assez vite car à Béziers nous rejoignons Jean Eudes et Papa qui finiront le périple avec nous : 35km des écluses de Béziers à l’écluse de Marseillan, porte de l’étang de Thau, et cité réputée pour sa ferme marine ! Flora en revanche nous quittera, son arrière train est consommé ; elle nous attendra à Sète.
Le canal du midi tangente Béziers, et nous avons de la cité une belle vision, avec ce qui ressemble à une cité épiscopale accrochée à flanc de colline, ses allées de cyprès au parfum chaleureux, ses usines ronronnantes à l’ombre d’épaisses frondaisons. De plus à partir de Béziers et pour 15km, nous retrouvons un chemin de hallage goudronné. Nous trouvons facilement de quoi nous nourrir, la boulangère qui nous sert est avenante et intéressée par notre aventure. Le lieu du repas sera une écluse où un anglais attend dans son bateau tout en teck que l’éclusier ait lui-même achevé sa pose déjeuner pour poursuivre sa navigation. Chacun sort de son sac des merveilles de gastronomie : qui un saucisson, qui des chips, qui des olives piquantes, qui des rillettes, qui du pain, qui une bouteille de vin du Languedoc, qui un cake. C’est ce qu’on appelle un bon gueuleton.
Seulement après ces festivités, la réalité nous rattrape : dès que nous nous sommes remis en selle nous réalisons qu’il n’y a plus de piste bitumée. Les abords du canal n’ont pas été entretenus depuis des années et le chemin gorgé d’eau est une véritable fondrière. Jean-Eudes qui est un peu de la partie, nous apprend sans surprise que le conseil régional, a donné pendant des années pour instruction à ses équipes de ne surtout rien faire, et c’est une véritable réussite : la progression est harassante, surtout pour papa qui roule sur le vélo de papi Leduc, vélo dont la vocation est d’aller chercher le pain au bourg, certainement pas de faire office de vélo de trait. Papa souffre en silence, mais on voit aux gouttes de son visage que l’hypoglycémie fait son chemin. Pendant ce temps le genou d’Adrien enfle.
Arrivés à Agde, belle ville moyenâgeuse qui n’a elle non plus jamais été mise en valeur car l’équipe municipale préférait investir dans les infrastructures nudistes, nous réalisons à la lecture de la carte que finir le canal du midi ne veut pas dire finir notre périple à vélo ! Il faut encore contourner l’étang de Thau pour rejoindre Sète. Une bonne quinzaine de kilomètres. Ces derniers kilomètres se font au soleil couchant et rougeoyant, sur une piste cyclable louvoyant entre les dunes du bord de mer, ce qui nous laisse tout le temps de nous remémorer les paysages, les architectures que nous avons croisés. Depuis les briques toulousaines jusqu’aux hautes façades commerçantes et méditerranéennes de Sète, des vallées pré-pyrénéennes plantées de Tournesols aux coteaux languedociens hérissés de vignes et assouplis de parterres de fleurs blanches. Chaque jour, chaque heure, nous a amené une lumière différente, des spectacles simples et merveilleux de la nature ; les envols des canards, de faisans, de hérons, d’aigrettes, de cygnes, de cormorans ont rythmé notre parcours et apaisé notre esprit. Nous avons profité du monde tel qu’il venait et c’est pour ça que demain nous serons contents, Céline et moi, de continuer vers les Saintes Maries de la Mer.
Mais pour cela il faut encore sortir vivant de notre entrée dans Sète : comme toutes les entrées de villes à l’exception de Nantes, le cycliste y est quantité négligeable, et de nuit il n’existe plus du tout. Les bretelles, les rond-points, ne sont pas à sa mesure. Les rétrécissements de svoies, les élévations des trottoirs, les véhicules en double file sont autant de pièges, tandis que phares et pétaradent désorientent. Il y a de quoi devenir fou ! C’est peut être ce qui arrive à papa qui soudain déboite, se jette sur la route en pédalant comme un forcené, veut jouer et prendre sa place dans le trafic ! Sur le pont basculant il fonce au milieu des voitures comme il se jetterait à travers une herse, mais il en sort vivant ; il se rue alors sur le rond point, celui là qui draine toutes les voies d’accès à Sète, et comme autour de Moïse le flot s’ouvre. Alléluia, nous voici arrivés à la gare ! Cinq minutes plus tard un train est là et embarque Papa et Jean-Eudes, tandis que nous rejoignons notre hôtel en centre ville, La Tramontane : simple et pas cher, on nous y autorise à accrocher nos vélos dans les couloirs. Le soir nous dînons dans un restaurant de poissons et Flora découvre avec épouvante la vraie nature du violet !
Dimanche 19 février : tandis que Flora et Adrien pansent leurs plaies, font la grasse matinée avant d’aller visiter Sète, Céline et moi reprenons la route. Sortir de la ville n’est pas rassurant, heureusement c’est dimanche matin et le trafic est presque nul. Sur un rond point nous nous faisons doubler par un pèlerin de St Jaques de Compostelle, il roule à la vitesse d’une mobylette, alors qu’il est chargé de quatre sacoches, aurait-il un moteur électrique ? Ou bien la foi donne vraiment des ailes. Finalement nous longeons Frontignan et ses dépôts pétroliers, puis les Aresquiers où Jean Eudes et Marion aiment à se balader en famille, pour continuer le long du canal du Rhône à Sète. A la base nous n’avions pas prévu de faire un voyage tourné autour de la thématique des canaux, mais ces anciens axes de communication représentent finalement une bonne manière de traverser nos contrées en évitant les foules, les autoroutes et les côtes. A un rythme serein, sans à-coups, on voit la région s’organiser, l’histoire passer, la géographie s’illustrer.
Le canal, entre étangs saumâtres et flamands roses pas très roses, nous conduit à l’ancienne cathédrale de Maguelonne, longtemps isolée sur une île au milieu des marais, et dont papi Rétif appréciait la quiétude.
Le canal, entre étangs saumâtres et flamands roses pas très roses, nous conduit à l’ancienne cathédrale de Maguelonne, longtemps isolée sur une île au milieu des marais, et dont papi Rétif appréciait la quiétude.
C’est maintenant qu’il nous faudrait quitter le canal pour suivre le littoral via le Grau du Roi (ville de départ des croisades pour St Louis) afin de rejoindre les Saintes Maries. Mais c’est au tour du genou de Céline de faire des siennes. Voilà quelques kilomètres qu’il fait cloc cloc. Et une mécanique qui fait du bruit, c’est toujours annonciateur de soucis. Nous décidons donc de continuer le long du canal du Rhône à Sète pour suivre plus loin un de ses embranchements, le canal de Lunel, qui devrait ainsi nous amener à la ville éponyme, et surtout à sa gare ! Ainsi nous pourrons rejoindre Montpellier où Céline pourra reposer son genou.
Le long du canal du Rhône à Sète, des langues de terre viennent s’agglomérer à la digue qui sépre le canal de l’étang de l’Or. Sur ces langues de terre, on y a installé des chevaux, qui y vagabondent en liberté. Certain y ont aussi bâti des cabanes, où l’on ne peut accéder que par des canaux à moteur. Au-delà c’est le royaume lacustre, peuplé de hautes herbes, d’îles insolites, d’échassiers et de moustiques. Des grands parents y sont avec leurs petits enfants, on devine des enfance à la Tom Sawyer. Plus loin, lorsque nous rejoignons le canal de Lunel, les maisonnettes deviennent accessibles par des chemins, des passerelles. La végétation y est plus verte, plus profonde. Chaque cabane a son carelet, son enclos à canards. Les gens ici sont des actifs (les diverses voitures d’entreprise garées l’attestent), mais ils ont adopté un mode de vie alternatif. Le rythme, le bruit, l’odeur, me rappellent les canaux du Mékong. Finalement, après 57 km, nous voici arrivés à Lunel, où nous attendons le train à la terrasse du café, à la façon méditerranéenne. En tout depuis Toulouse, nous aurons fait 320km.
Le long du canal du Rhône à Sète, des langues de terre viennent s’agglomérer à la digue qui sépre le canal de l’étang de l’Or. Sur ces langues de terre, on y a installé des chevaux, qui y vagabondent en liberté. Certain y ont aussi bâti des cabanes, où l’on ne peut accéder que par des canaux à moteur. Au-delà c’est le royaume lacustre, peuplé de hautes herbes, d’îles insolites, d’échassiers et de moustiques. Des grands parents y sont avec leurs petits enfants, on devine des enfance à la Tom Sawyer. Plus loin, lorsque nous rejoignons le canal de Lunel, les maisonnettes deviennent accessibles par des chemins, des passerelles. La végétation y est plus verte, plus profonde. Chaque cabane a son carelet, son enclos à canards. Les gens ici sont des actifs (les diverses voitures d’entreprise garées l’attestent), mais ils ont adopté un mode de vie alternatif. Le rythme, le bruit, l’odeur, me rappellent les canaux du Mékong. Finalement, après 57 km, nous voici arrivés à Lunel, où nous attendons le train à la terrasse du café, à la façon méditerranéenne. En tout depuis Toulouse, nous aurons fait 320km.
Lundi 20 soir, après nous être reposés et être allés chercher Elise à l’’école, Céline rentre à Antibes, elle doit reprendre le travail. Sur la route elle me déposera à l’hôtellerie de la Saint Baume d’où je commencerai ma dernière étape, en solitaire cette fois. Il y a une logique à commencer à la Sainte Baume : c’est une étape de la voie d’Arles du chemin de Saint Jaques de Compostelle, tout comme Toulouse, tout comme Montpellier et Sophia Antipolis ; la voie d’Arles de plus est une voie romaine , la Via Aurelia, et Dieu sait que si j’aime quelque chose autant que les vieilles églises, ce sont les ruines romaines. De plus en suivant le canal du midi nous avons aussi la voie du Piémont Pyrénéen qui est une voie alternative à la voie de Toulouse. Et finalement il y a un lien avec l’étape avortée des Saintes Maries de la Mer, car si Marie Madeleine a accosté aux Saintes Maries, elle a fini sa vie à la Sainte Baume.
A 19h30 Céline me dépose donc au monastère et s’en repart, toute seule dans sa clio dans la nuit noire. Une jeune femme à grands yeux doux, cheveux chatains frisottés et médaillon en or m’accueille, Astrid. Elle me donne la clé de ma cellule, à la sobriété toute monacale : un petit lit avec un dessus de lit uni, murs blancs, table en bois, une armoire sans porte, un lavabo, un crucifix, une vierge à l’enfant en pierre made in France. Des tomettes au sol. La fenêtre débouche sur l’église, la nature, le massif de la Sainte Baume où deux petites lumières attestent qu’un moine veille, ainsi qu’un groupe de scouts d’ailleurs ! A 21h la petite cloche de la communauté s’agite de soubresauts, c’est l’heure des vêpres. J’en profite pour sortir humer l’air. Il est sec et froid, j’ai bien fait de mettre ma cagoule en polaire. Toutes les étoiles sont visibles et je m’amuse à chercher l’étoile du nord que je trouve dans la direction opposée à celle où je cherchais. Tout autour de moi dans la prairie, des centaines de petites étoiles s’allument et s’éteignent, ce sont les yeux de chats innombrables. Pas un bruit si ce n’est le chauffage de l’hôtellerie qui parfois se met en route, et parfois les chiens qui aboient en bas dans la plaine.
A dix heures je suis au lit, et même si je dors mal, je goutte au silence. A 8h30, après quelques minutes passées derrière ma vitre à observer les oiseaux sauter de branche en branche, c’est le petit déjeuner.
A 19h30 Céline me dépose donc au monastère et s’en repart, toute seule dans sa clio dans la nuit noire. Une jeune femme à grands yeux doux, cheveux chatains frisottés et médaillon en or m’accueille, Astrid. Elle me donne la clé de ma cellule, à la sobriété toute monacale : un petit lit avec un dessus de lit uni, murs blancs, table en bois, une armoire sans porte, un lavabo, un crucifix, une vierge à l’enfant en pierre made in France. Des tomettes au sol. La fenêtre débouche sur l’église, la nature, le massif de la Sainte Baume où deux petites lumières attestent qu’un moine veille, ainsi qu’un groupe de scouts d’ailleurs ! A 21h la petite cloche de la communauté s’agite de soubresauts, c’est l’heure des vêpres. J’en profite pour sortir humer l’air. Il est sec et froid, j’ai bien fait de mettre ma cagoule en polaire. Toutes les étoiles sont visibles et je m’amuse à chercher l’étoile du nord que je trouve dans la direction opposée à celle où je cherchais. Tout autour de moi dans la prairie, des centaines de petites étoiles s’allument et s’éteignent, ce sont les yeux de chats innombrables. Pas un bruit si ce n’est le chauffage de l’hôtellerie qui parfois se met en route, et parfois les chiens qui aboient en bas dans la plaine.
A dix heures je suis au lit, et même si je dors mal, je goutte au silence. A 8h30, après quelques minutes passées derrière ma vitre à observer les oiseaux sauter de branche en branche, c’est le petit déjeuner.
Dans la salle de réfectoire (il y a d’immenses salles pour la saison touristique mais là nous sommes dans une pièce d’un vingtaine de mètres carrés) où j’arrive en dernier, il y a déjà un groupe de vieux assis à une table, et un groupe plus disparate assis à une autre table. Je demande la permission de les rejoindre et on m’y invite avec chaleur. Il y a là deux jeunes qui participent à « l’école de vie » animée par les moines dominicains de l’abbaye. Ces deux jeunes qui arborent eux aussi un médaillon en or se voient offrir un enseignement théologique, social, intellectuel par les moines, tandis qu’ils ont le loisir de réfléchir à leur avenir avec sérénité, et avec les conseils et l’appui moral de leurs mentors. Ils participent de plus activement à la vie de la Sainte Baume, s’occupant de l’entretien de la grotte, de l’accueil des pèlerins, de l’administration de l’hôtellerie, de la boutique. Apprendre et servir, tel est le concept. Le jeune homme a déjà eu une activité professionnelle pendant quelque temps à Paris, mais toute cette excitation, cette course après quoi, il voulait savoir où il allait, avait besoin de faire le point… Il est là depuis le mois de septembre. Avec sa chemise à carreaux et son grand front pâle et fuyant, il a une bonne tête de pilier de catéchisme, mais ses yeux lumineux et sa voix chaleureuse attestent du fait qu’il a atteint quelque chose de profond. La jeune fille est plus jeune, elle n’a pas encore travaillé, et elle se cherche dans le monde d’aujourd’hui. Père militaire, fratrie de sept enfants, la jeunesse dans les bouquins, elle a les cheveux châtains et lisses tirant sur le roux, la peau lisse et pâle, fine comme un vélin. Avec ses traits poupons et ses yeux joyeux, je me dis que son chemin sera peut être complexe. Il y là aussi deux randonneuses, une vielle maman cernée et sa fille quarantenaire plus jaune que pâle, brune et ressemblant finalement pas mal à la copine de Didier Bourdon dans les « Trois Frères ». Elle parlerait bien plus si sa mère lui en laissait l’opportunité, mais celle-ci a des choses à dire, sentencieuses. D’une vieille famille protestante, la pauvre fille se trouve dans une situation où non seulement elle n’a pas coupé le fil, mais elle en train de se faire étrangler par le fil.
Et derrière, le groupe de vieux qui fait des citations de Luc 49.3, en entourant leurs poncifes de rires entendus pour se faire bien voir du frère qui partage leur table.
Dehors le soleil continue de se lever, il frôle le massif de la Sainte Baume, l’air s’épaissit et le givre commence à fondre sur la pelouse. Quelle paix !
Je prends mon vélo au travers de cette paix, et si mes poumons sont à la fête, mes yeux pleurent de froid et mes mains sont mieux sur mes poches que sur le guidon. Petit à petit, des rayons traversent les branches de la forêt de pins et de chênes verts, dessinent une dentelle dans les sous bois et sur ma petite route perdue. Quand enfin le soleil est bien levé, je tourne à gauche pour plonger vers la vallée ! Je file le long des lacets, à 45km/h, je vire, je freine, je relance, l’odeur des bois, la chaleur du nouveau soleil sur le dos, la vallée qui s’élance vers moi, du vert partout !
Et derrière, le groupe de vieux qui fait des citations de Luc 49.3, en entourant leurs poncifes de rires entendus pour se faire bien voir du frère qui partage leur table.
Dehors le soleil continue de se lever, il frôle le massif de la Sainte Baume, l’air s’épaissit et le givre commence à fondre sur la pelouse. Quelle paix !
Je prends mon vélo au travers de cette paix, et si mes poumons sont à la fête, mes yeux pleurent de froid et mes mains sont mieux sur mes poches que sur le guidon. Petit à petit, des rayons traversent les branches de la forêt de pins et de chênes verts, dessinent une dentelle dans les sous bois et sur ma petite route perdue. Quand enfin le soleil est bien levé, je tourne à gauche pour plonger vers la vallée ! Je file le long des lacets, à 45km/h, je vire, je freine, je relance, l’odeur des bois, la chaleur du nouveau soleil sur le dos, la vallée qui s’élance vers moi, du vert partout !
Et puis recommencer à pédaler, sur des sentiers et des petites routes, les routes se transformant en pistes, les pistes en sentiers, les sentiers en route, de vallée en col, tout en suivant cette ancienne via Aurelia dont le tracé logique, quoi que tourmenté, traverse tous les axes de communication moderne pour relier chapelles et monastères, collégiales et églises, dolmens et grottes mystérieuses, rattachant des pans d’histoire ignorés par les autochtones varois : ceux-ci se cachent derrière leurs palissades de parpaings, défendant leurs pavillons crépis et leurs maigres biens avec des chiens abrutis et des autocollants « voisins vigilants ».
97km, 1200m de dénivelé positif, 1700m de dénivelé négatif, j’arrive à la garde des Arcs avec une heure d’avance sur mon programme, ce qui me permet de me lier d’amitié avec un vieux fou, à vélo lui aussi : ça fait quatre jours qu’avec son biclou il ratisse le massif des Maures à la recherche de cailloux. Dans sa jeunesse il a raté l’école des mines, mais sa passion est restée, et ce sosie de Christophe Lambert en plus prospère me conte les latérites, la fluorite, les micas, les vallées, les aménites, une heure durant. Ma retraite au monastère a amélioré mes capacités d’écoute, d’empathie et le bonhomme, certain que je partage sa passion pour les cailloux, me propose de m’emmener dans ses futures aventures. En même temps il se trouve que là où il cherchait des cailloux, je cherchais moi des dolmens ou des grottes avec des peintures pariétales et que nous avons la géographie en commun. Nous nous quittons en échangeant nos numéros.