Mardi 31 mai. Bouchara - Nourata -Sentob
Depuis notre projet de départ en France, nous avions repéré l’existence d’une agence de voyage “équitable”, c’est à dire autochtone et travaillant directement avec les paysans ouzbèques. Cette agence, responsibletravel.com, proposait des séjours dans les montagnes surplombant le lac Aydarkul, séjours qui nous parraissaient fort intéressants car très loin des sentiers battus. En revanche le trajet jusqu’à ce coin reculé était facturé fort cher. Or notre connaissance du terrain s’améliorant, et notre budget fondant dans les mêmes proportions, l’idée de payer 145$ de transports pour nous rendre là bas nous est devenue intolérable. Nous nous en sommes ouverts à notre hôtesse du bed and breakfast, la big mama si grosse qu’elle n’en plie même plus les genoux pour se déplacer. Bref, sitôt que nous lui avons énoncé le problème, elle se saisit de son téléphone et appelle un chauffeur. Dix minutes plus tard nous sommes attablés autour d’une assiette d’abricots et de petites pommes à négocier le prix du trajet. Nous tombons d’accord sur 100$ et le chauffeur reste les deux jours avec nous. On nous fait comprendre qu’il serait illusoire, une fois sur place, de trouver un nouveau moyen de locomotion.
Ainsi donc nous voici partis vers le nord avec Yacha, qui semble ravi de partir en vacances : “Vous allez voir, l’air pur, la fraîcheur, l’eau propre, c’est un endroit comme ça! C’est un si bel endroit!” A l’écouter on dirait que c’est lui qui a eu l’idée de nous amener là bas, à Sentob, dans les montagnes. Est-ce la perspective des vacances ou bien est-ce naturel, mais il conduit très tranquillement, jamais au delà de 60 km/h, ce qui d’un côté nous rassure après certains chauffards que nous avons eu à subir, mais d’un autre côté l’entendre de 8h à 16h répéter “C’est si beau, c’est un endroit come ça!”, on commence à se demander s’il n’y a pas comme un vice caché dans notre aventure. Le doute s'instille un peu plus à l'occasion du déjeuner : toute la matinée il nous avait demandé si nous voulions manger du mouton à midi. Je tentais de modérer ses ardeurs en lui expliquant que si lui avait faim, pour notre part nous mangions peu. Peine perdue, arrivés à Nurata au restaurant à midi, il commande un véritable méchoui! Succulent au demeurant, mais comme de bien entendu le chauffeur s’enfile la moitié du mouton en vantant au ciel, à ses aïeux et aux générations futures l’excellence de ce gras et de cette chair, tandis que nous réglons l’addition qui atteint des sommets jusqu’alors jamais approchés!
Mais on ne vient pas à Nurata que pour ses moutons, encore que les steppes alentours en soient recouverts. On y vient aussi de toute l’Asie centrale en pèlerinage pour visiter la source sacrée que le beau frère du prophète ou quelqu’un de ce niveau a fait jaillir en tapant le sol de son bâton. Du coup un complexe religieux tout neuf vient de sortir du sol, autour d’un bassin dans lequel grouillent des milliers de silures. C’est un endroit de ce genre qui a du donner Apichatpong Weerasethakul son idée de scène baroque dans Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures. En tout cas le site est plutôt glauque, car tout est faux ; cependant les gens viennent par centaines s'esbaudir devant les poissons, tandis qu’autour une foule de marchands du temple aussi dense que celle des poissons attend. En même temps c’est vrai qu’on est dans un région où les poissons sont une espèce en voie de disparition… Et pourtant, quand j’étais venu en 2004, je suis convaincu que c’était un vaste no man’s land avec juste un hangar délabré et des vaches faméliques! C’est que à cette époque, il y avait déjà plus important à voir que quelques poissons chats! Surplombant ce trou d’eau, il y a une forteresse conquise et rebâtie par Alexandre le Grand! A cheval sur le dernier éperon rocheux qui se heurte au désert Kizilkum, elle figure le dernier bastion sédentaire face à l’océan des steppes nomades! Sa position est tout à fait cinématographique, car elle semble vraiment être le fer de lance de la chaîne de montagne qui la suit, chaîne de montagne qui elle même ressemble à une vague pétrifiée : certains pics à l’est semblent prêts à s’abattre sur la plaine.
Ainsi donc nous voici partis vers le nord avec Yacha, qui semble ravi de partir en vacances : “Vous allez voir, l’air pur, la fraîcheur, l’eau propre, c’est un endroit comme ça! C’est un si bel endroit!” A l’écouter on dirait que c’est lui qui a eu l’idée de nous amener là bas, à Sentob, dans les montagnes. Est-ce la perspective des vacances ou bien est-ce naturel, mais il conduit très tranquillement, jamais au delà de 60 km/h, ce qui d’un côté nous rassure après certains chauffards que nous avons eu à subir, mais d’un autre côté l’entendre de 8h à 16h répéter “C’est si beau, c’est un endroit come ça!”, on commence à se demander s’il n’y a pas comme un vice caché dans notre aventure. Le doute s'instille un peu plus à l'occasion du déjeuner : toute la matinée il nous avait demandé si nous voulions manger du mouton à midi. Je tentais de modérer ses ardeurs en lui expliquant que si lui avait faim, pour notre part nous mangions peu. Peine perdue, arrivés à Nurata au restaurant à midi, il commande un véritable méchoui! Succulent au demeurant, mais comme de bien entendu le chauffeur s’enfile la moitié du mouton en vantant au ciel, à ses aïeux et aux générations futures l’excellence de ce gras et de cette chair, tandis que nous réglons l’addition qui atteint des sommets jusqu’alors jamais approchés!
Mais on ne vient pas à Nurata que pour ses moutons, encore que les steppes alentours en soient recouverts. On y vient aussi de toute l’Asie centrale en pèlerinage pour visiter la source sacrée que le beau frère du prophète ou quelqu’un de ce niveau a fait jaillir en tapant le sol de son bâton. Du coup un complexe religieux tout neuf vient de sortir du sol, autour d’un bassin dans lequel grouillent des milliers de silures. C’est un endroit de ce genre qui a du donner Apichatpong Weerasethakul son idée de scène baroque dans Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures. En tout cas le site est plutôt glauque, car tout est faux ; cependant les gens viennent par centaines s'esbaudir devant les poissons, tandis qu’autour une foule de marchands du temple aussi dense que celle des poissons attend. En même temps c’est vrai qu’on est dans un région où les poissons sont une espèce en voie de disparition… Et pourtant, quand j’étais venu en 2004, je suis convaincu que c’était un vaste no man’s land avec juste un hangar délabré et des vaches faméliques! C’est que à cette époque, il y avait déjà plus important à voir que quelques poissons chats! Surplombant ce trou d’eau, il y a une forteresse conquise et rebâtie par Alexandre le Grand! A cheval sur le dernier éperon rocheux qui se heurte au désert Kizilkum, elle figure le dernier bastion sédentaire face à l’océan des steppes nomades! Sa position est tout à fait cinématographique, car elle semble vraiment être le fer de lance de la chaîne de montagne qui la suit, chaîne de montagne qui elle même ressemble à une vague pétrifiée : certains pics à l’est semblent prêts à s’abattre sur la plaine.
Bien sûr la forteresse est complètement ruinée, mais on retrouve l’architecture générale, on devine des bouts de voûte enfouis dans la boue, on peut toucher des briques quatre fois millénaires, des briques herculéennes qui n’ont rien à voir avec ce que l’on n’a jamais pu voir, des briques d’un autre temps, énormes et tordues, comme si elles étaient l’œuvre d’un enfants des titans. En outre on peut apercevoir de ci de là les fondations. Ce n’est pas la technique habituelle en vigueur dans la région : elles ont été faites en pierres, ou plutôt en marbre, puisque la ressource locale, c’est le marbre. Et autour de ces blocs de marbre, des casiers en troncs d’arbres ont été posés, sur lesquelles finalement ont été bâties les fameuses briques, dans leur lit de terre crue. Il en sort que pour construire une telle forteresse, il a fallu des forces et une organisation énorme! Vu la population de l’époque, c’est complètement délirant! Peut être Alexandre avait-il déjà récupéré ses éléphants d’Inde? Mais il est vrai qu’à l’époque cet endroit devait être un carrefour important, et ce depuis la nuit des temps ; preuve en est la multiplicité des pétroglyphes que l’on peut trouver en bord de route entre Navoï et Nurata. Des chameaux, des dromadaires, des bouquetins, des tigres, des hommes bien pourvus : les plaques de schiste qui surnagent du bush sont des tableaux à ciel ouvert. D’aucun cherchent dans ces manifestations artistiques des rites chamaniques, c’est en tout cas les hypothèses que l’on nous avait donné dans la vallée des merveilles du côté de Tende. Pourtant ce que nous verrons le lendemain dans les vallées alentours semble plutôt suggérer des messages inscrits pour soi ou pour la postérité, sur des lieux de passages ou d’ennui, à proximité des pâturages ou des aires de regroupements des jeunes des villages. Ainsi sur la piste qui longe Sentob (сентяб) , on retrouve des panneaux de schistes recouverts de graffitis, gravés par des générations d’adolescents où les messages d’amour en russe, suggèrent le sens des autres messages rédigés dans des langues que nous ne comprenons pas.